SOS: L’ ALIÉNATION SPIRITUELLE
“Est-ce qu’on doit toujours rester dans cette ignorance, dans cette aliénation? Et avec la photographie j’ai quand même eu à lire, à comprendre comment on en est arrivé là.”
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06.25.23
Série: Super Black
Déjà je suis née dans une époque où on a trouvé déjà que tout a été, je pense aliéné en fait -la culture. On a trouvé je pense, une terre détruite, si je dois philosopher comme ça. Tout a été déraciné. Tout a été abîmé. Nous, on est né, on a trouvé ça et nous on nous a dit c’était ça, notre réalité.
Photos de Anastasie Langu Lawinner
Entretien de Mariam Sako Armisen
Anastasie Langu Lawinner: Bonjour Mariame moi c’est Anastasie Langu Lawinner, mon surnom d’artiste. Je suis artiste visuelle, photographe, vidéaste aussi et je m’intéresse aussi à l’installation visuelle. Je suis congolaise, je suis née à Kinshasa et actuellement je vis en France et ça fait plus de sept ans que je suis dans l’art visuel.
Mariam Armisen: Merci pour cette introduction, est-ce que tu peux nous parler un peu du pourquoi de la photographie comme médium de l’art visuel et aussi cheminement vers la photographie?
j’ai eu la motivation d’apprendre toute seule sur Youtube tout ça, tout ça. Et quand j’ai commencé maintenant à m’intéresser au domaine artistique, là tu sens les regards, tu sens que les gens ne te prennent pas au sérieux, tu sens, tu dois vraiment faire plus que les autres pour montrer que tu n’es pas là pour rigoler. Tu es là parce que tu as quelque chose à donner.
Anastasie: Pourquoi la photographie? Parce que je pense quand j’ai commencé à m’intéresser à l’art c’était en 2015, 2016 plutôt. Moi j’ai fait des études de droits déjà je n’étais pas sensée être photographe ou artiste, j’étais dans le droit donc carrée. Tout était prémédité déjà. Mais, un jour je suis tombée sur l’appareil photo chez un ami et c’est là où tout a commencé. Je n’ai pas choisi, je n’ai pas calculé je ne savais pas qu’un jour je serai dans ça et quand je suis tombée sur l’appareil c’est là que l’envie et étant intriguée par l’appareil j’ai voulu apprendre et depuis jusqu'à aujourd'hui je suis dans la photographie. Et avec la photo je pense c’est un outil qui me permet de m’exprimer, de traduire mes mots, mes pensées et je me sens je dirais comblée avec la photo parce que j’arrive à m’exprimer à travers ça au fait je ne saurais pas dire pourquoi mais c’est comme ça (rires) je sais pas
Mariam: C’est intéressant parce que tu es la troisième photographe africaine avec qui j’ai eu des conversations et chacune de vous dit à quel point la photo vous permet de vous exprimer et de joindre le langage interne avec les conversations externes et je me demande si c’est une particularité des photographes femmes. Qu’est-ce que tu en penses?
Anastasie: Oui je ne dirais que c’est un peu ça parce que beaucoup de photographes que je connais aussi disent que vraiment la photographie c’est un support pour s’exprimer parce que déjà la femme je pense elle a subit et subit beaucoup d’injustices il y a tellement de de discriminations, de préjugés tout autour d’elle. Et quand une femme choisi ça peut être la photo, la peinture ou peu importe la discipline qu’elle va choisir elle aura tendance à se sentir épanouie avec ça, parce qu’avec ça, elle s’exprime; avec ça elle peut dire ce qu’elle pense peut être que depuis tant d’années elle n’a pas su parler mais avec l’art on arrive à s’exprimer sans interdits, sans interdictions, sans qu’on ne nous mette des barrières. Je pense que c’est ça en fait de s’exprimer. D’avoir un outil qui te permet d’être toi; quand tu la pratique tu te sens vraiment libre en fait. Je pense que c’est ça en fait, la liberté que nous procure l’art et la photographie, je pense que c’est-ce qui permet que les femmes disent ça.
Mariam: A quel moment as-tu décidé de t’adonner à plein temps à la photographie et de faire la transition d’avocate (rires), du milieu juridique et vers un milieu artistique; et est-ce que ça a été une transition facile? Je me demande quelle a été aussi la réaction de ton entourage; comme tu viens de le parler, être artiste femme aussi c’est un combat dans notre contexte.
Tout ce que je voulais dire en droit, parce que je suis quelqu’un de très révolté, tout ce que j’ai toujours voulu dire, je peux juste le poser dans la photo. Ah! C’est là que la magie a commencé. C’est là que j’ai compris que grâce à la photo, je peux parler des choses qui me dérangent, je peux questionner des choses. Et c’est la première série photos que j’ai faite, SOS
Anastasie: Voilà c’est un secteur qui est comme ça et puis quand j’ai commencé je voulais apprendre et la majorité des photographes que je connaissais c’était des hommes et mon ami m’a présenté un de ses frères qui était de l’académie des beaux-arts qui était photographe. A l’époque je suis allée le voir pour apprendre mais ses réponses c’était tellement rabaissant, du genre je ne peux pas apprendre la photo, je suis une femme, je n’ai pas fait les études de l’art, c’est impossible. Il m’a tellement dit des mots qui m’ont blessée et je pense que ce sont ces mots que j’ai utilisé pour continuer. Je voulais d’abord continuer à apprendre juste pour lui prouver que je pouvais arriver, que ce qu’il dit c’est pas vrai et j’ai voulu d’abord apprendre pour lui. Il m’a motivé en quelques sorte; j’ai dit, “ok je vais vraiment apprendre ça pour lui prouver que ce n’est pas parce que je suis une femme, ce n’est pas parce que je n’ai pas fait les arts tout ça, tout ça”. Et c’est comme ça que j’ai eu la motivation d’apprendre toute seule sur Youtube tout ça, tout ça. Et quand j’ai commencé maintenant à m’intéresser au domaine artistique, là tu sens les regards, tu sens que les gens ne te prennent pas au sérieux, tu sens, tu dois vraiment faire plus que les autres pour montrer que tu n’es pas là pour rigoler. Tu es là parce que tu as quelque chose à donner. Ce n’est pas facile parce que quand tu es entouré des hommes, soit ils te draguent, soit ils ne te prennent pas au sérieux. Il y a tellement de choses que subissent les femmes artistes dans le milieu artistique, que ce n’est pas vraiment tout le temps en notre faveur. La majorité du temps, on ne te prend pas au sérieux et tu dois t’imposer. Grâce à Dieu j’ai pu le faire; j’ai pu m’imposer dans le milieu artistique. Ce n’est pas facile mais vu que je travaillais, vu qu’ils voyaient ce que je faisais, je pense que c’est mon travail qui a parlé, je pense que c’est ma personnalité aussi qui a fait en sorte que les gens tout autour de moi me respectent, respectent mon travail. Aussi parce qu'au départ je croyais en moi, aussi je pense j’avais une énergie et cette énergie dès le départ m’a accompagnée. Je pense la personnalité, la confiance en soi, et ce que tu dégages comme personne aussi influence ton entourage, même si les débuts ce n’est pas facile oui mais, quand ils comprennent et voient ce que tu fais, ils n’ont pas le choix, qu’ils veuillent ou pas tu es là, donc ils vont finir par comprendre c’est un peu ça.
Anastasie: Voilà je le disais moi j’ai commencé avec le droit j’étais graduée je devais continuer en licence néanmoins je ne sentais pas l’envie à l’époque de continuer la licence je ne savais pas pourquoi; je me sentais un peu perdue, je n’avais pas la motivation pour continuer et c’est là que la photographie arrive dans ma vie et je détecte qu’il y a quelque chose dedans que je dois exploiter. Quand je la pratique, je me sens bien et j’ai commencé comme ça à m’exercer toute seule, là j’ai caché ça à tout le monde, je ne disais à personne, personne ne le savait et petit à petit j’ai commencé à publier les photos. Mes ami.e.s sur Facebook ont commencé à voir, un peu de ma famille aussi, tout le monde ne me comprenait pas. “Qu’est-ce qui se passe? Qu’est-ce qui se passe?” Il y avait tellement de questions de, “qu’est-ce qui s’est passé?”; “tu fais quoi là?” C’était comme si on me disait, “tu ne vois pas que tu es entrain de te perdre un peu? Tu laisses ça pour la photographie?”. À l'époque aussi, parce qu’aujourd’hui ça a évolué un peu les regards, mais à l’époque c’était vraiment encore un métier où les gens ne trouvaient pas d’utilité, les gens qui la pratiquaient surtout chez moi au Congo, c’était soit des gens qui avaient raté leur vie, soit des gens qui ne savent pas, donc ils ont raté leur vie et puis c’est une manière pour eux de gagner un petit rien pour vivre. Et moi quand j’ai commencé ce n’était même pas pour ça, j’aimais juste le fait que je me sentais bien, c’était une passion pour moi j’aimais faire des photos, j’aimais publier et tout. Et c’est comme ça que tout a commencé et quand ma famille, mon entourage a commencé à comprendre, ce n’était pas facile parce que je n’avais pas le soutien de presque tout le monde. Tout le monde me disait, “qu’est-ce que tu fais de ta vie, qu’est-ce que tu fais de ta vie?” Mais comme on dit quand c’est fait pour toi peu importe les difficultés tu arrives à les surmonter. Le regard des autres, bien sûr ce n’était pas facile, ce n’était pas évident mais je pense c’était destiné comme ça. Je pense que c’était ça.
Mariam: Je me demande, oui, il y a le coté combat avec la famille et l’entourage pour accepter tes choix et je me demande aussi quelle a été la réception dans le milieu artistique en RDC, oui pour une jeune femme qui s’est introduite surtout dans le secteur de la photographie qui reste quand même assez masculin.
Série: SOS
Mariam: Parlons justement de tes œuvres. Merci d’avoir partagé ce dossier artistique, quand j’ai vu tes images, tes photographies attrapent par les tripes, je dirais.
Anastasie: Merci beaucoup.
Mariam: Je dirais, en tout cas c’est ce que j’ai ressenti, parce que tu ne peux pas rester impartiale à ça, ça t’interpelle de façon très profonde et tu dois t’engager et faire partie de ce que tu vois. Je me suis dite, “mais qui est cette personne pour envoyer une sensibilité mais vraiment puissante et pouvoir communiquer ceci à travers ses œuvres?” Donc si tu pouvais un peu nous parler de tes œuvres.
Anastasie: Du début? C’est SOS. SOS c’est une série photos. D’abord à l’époque j’avais un espace que mon ami m’avait offert, bon un studio. Il y avait tout, il y avait le matériel dedans et c’est là que je m’exerçais, c’est là que je pratiquais, d’habitude j’étudiais en ligne pour régler la lumière, pour comprendre et tout. C’est là qu’en pratiquant un jour j’ai eu l’idée de faire un style de photos un peu particulier. J’ai mis des tissus devant la lumière, je voulais recréer des ombres; j’ai essayé avec mon ami qui a posé pour moi et quand j’ai regardé le résultat, c’était super. Et j’ai dit ok je vais poster ces photos, je les ai posté comme ça. Moi à l’époque je faisais juste la photo je n’étais pas artiste parce que je ne me définissais pas comme artiste je prenais juste des photos parce que ça me plaisait bien. Et quand je poste les photos quelques jours après je pense, un ami m’a contacté pour me dire, “j’aime bien ce que tu fais tu peux postuler pour un appel à candidature pour une exposition, une résidence”. Bon, lui, il croyait en moi. Je dis ok qu’est-ce que je fais, on devait faire un dossier, faire un CV tout ça. Je n’en avais pas à l’époque, j’ai fait un CV rapidement et aussi quelques photos; j’ai envoyé. Et, à ma grande surprise, j’ai été sélectionnée. Et le jour où la résidence commence, c’est un photographe congolais qui fait la photographie documentaire qui était notre formateur. Et avec lui j’apprends que je peux avoir une démarche artistique, avec lui j’apprends que mes photos dégageaient quelque chose de fort et il m’a dit de travailler sur la même série , faire la même photo plusieurs fois, de travailler sur les mêmes thématiques. Il m’a dit, “qu’est-ce que tu aimes bien parler dans tes photos, qu’est-ce que tu aimes dire?” J’ai dit comment ça? Il m’a dit “c’est quoi ta démarche artistique?” Je lui ai dit, “c’est quoi une démarche artistique?” Je ne savais pas cela à l’époque, en 2016. Il me dit, une démarche artistique c’est ça quand tu parles d’un sujet et tout et tout. C’est là je comprends. Moi je lui ai dit moi j’ai fait le droit parce que j’avais envie de défendre les gens, j’avais envie un peu de me révolter contre l’injustice, tout ça. Il me dit ok, “le même envie que tu avais en droit tu peux le ramener dans la photographie.” C'est là que j’ai compris que, bon la photographie c'était juste un support. Tout ce que je voulais dire en droit, parce que je suis quelqu’un de très révolté, tout ce que j’ai toujours voulu dire, je peux juste le poser dans la photo. Ah! C’est là que la magie a commencé. C’est là que j’ai compris que grâce à la photo, je peux parler des choses qui me dérangent, je peux questionner des choses. Et c’est la première série photos que j’ai faite, SOS. Où on voit un fond rouge, on aperçoit l’ombre d’une personne qui est en détresse. J’ai voulu parler un peu de la détresse intérieure, de l’âme qui souffre, des injustices qu’on subit tous les jours qui affectent notre intérieur et qu’on ne voit pas. Et moi j’ai voulu représenter un peu ce qu’on ne voit pas dans cette série-là. C’était la première, c'est grâce à elle que j’ai pu encadrer ma démarche, que j’ai pu tracer mon chemin d’artiste.
Série: Voile
Dans la majorité de mes photos, c’est la femme qui est représentée, c’est un peu, un lien pour moi pour me connecter à tout ce qui a existé, tout ce qui existe, et tout ce que j’aimerais voir exister.
Mariam: Justement dans ton dossier artistique et je te cite, tu parles, tu dis qu’au cœur de tes préoccupations artistiques, “ce sont des questions de l’assimilation, de l’inculturation et de l’acculturation des rencontres des cultures nord-sud et ouest-est.” Donc si tu peux un nous parler de ceci. Comment est-ce que tes œuvres adressent ces questions-là?
Anastasie: Déjà je suis née dans une époque où on a trouvé déjà que tout a été, je pense aliéné en fait -la culture. On a trouvé je pense, une terre détruite, si je dois philosopher comme ça. Tout a été déraciné. Tout a été abîmé. Nous, on est né, on a trouvé ça et nous on nous a dit c’était ça, notre réalité. Et quand on essaie de comprendre comment tout a été déraciné, on se rend compte qu’il y a eu tellement de méfaits, tellement de manipulations, tellement de lavage de cerveau et moi ça m’a toujours dérangé en fait. Qu’est-ce qu’on doit accepter? Est-ce qu’on doit toujours rester dans cette ignorance, dans cette aliénation? Et avec la photographie j’ai quand même eu à lire, à comprendre comment on en est arrivé là. Il y a toujours ce genre de questions, parce que moi non plus je n’ai pas de réponses mais j’arrive à questionner à travers le temps, à travers les livres, à travers les mémoires qui existent, à travers les gens révoltés qui se sont rebellés à l’époque. J’arrive juste à questionner en fait où vont les choses, pourquoi on en est aujourd’hui comme ça? Quand est ce qu’on doit prendre conscience qu’on est vraiment dans la perdition, qu’on est dans la dégradation? Et sur le plan spirituel, sur le plan économique, intellectuel, vraiment tout est stagné, rien n’avance, rien n’évolue au fait. Et moi dans mon travail je parle de la spiritualité africaine particulièrement de chez moi au Congo. Les nations spirituelles, parce que je me dis un peuple qui perd ses racines culturelles, spirituelles vraiment, pour moi je ne sais pas comment on fera pour avancer dans tout autre aspect de la vie en fait. Et moi j’essaie de voir les maux qui existent dans les sociétés africaines, particulièrement chez moi au Congo. Comment est-ce qu’on peut questionner le temps, comment est-ce qu’on peut voyager dans le temps, dans le passé, le présent, le futur, pour essayer de trouver des réponses. Et dans mon travail, c’est la femme qui représente un peu ce que je dire, parce pour moi, la femme c’est le centre de tout. C’est elle la mère, c’est elle qui porte la vie. Dans les sociétés africaines c’est elle qui transmettait l’éducation. Donc, pour moi je trouve que la femme a un très grand rôle à jouer et j’ai toujours représenté cette vision-là, ces questionnements par la femme. Dans la majorité de mes photos, c’est la femme qui est représentée, c’est un peu, un lien pour moi pour me connecter à tout ce qui a existé, tout ce qui existe, et tout ce que j’aimerais voir exister.
Série: Voile
Mariam: Restons sur ce sujet, d’après ma lecture de certaines de tes séries comme, Norme, Voile, puis Chaos, vraiment je vois qu’à travers ces séries-là justement, tu parles des conditions de la femme, située dans les zones où sévissent des conflits armées en particulier. Je voulais savoir si tu pouvais entre guillemets nous faire une visite guidée de ces séries.
Anastasie: La série Chaos, je pense c’est la précédente, non la série Chaos c’est une série qui est sortie en 2018. C’est une série qui a été inspirée pendant que nous étions en résidence à Libreville. J'ai travaillé avec une artiste performeuse camerounaise Gabrielle Badjeck. L’idée c’était d’imaginer un peu, bon recréant une fiction, parce que c’est une fiction, ce sont des photos que j’ai collées après. J’ai voulu parler du chaos, des troubles, rien ne va. Tout est en dessus-dessous. Les pieds des femmes en l’air avec des croix. J’ai voulu parler déjà de la politique qui ne va pas. La politique gouverne tous les aspects de la société. Et j’ai voulu parler aussi de la guerre qui se passe dans mon pays depuis des années. Le génocide où la femme est utilisée comme arme de guerre. C’est un truc que les rebelles utilisent — les femmes et les enfants— donc ce sont eux qui sont vraiment au centre de la guerre. On détruit la femme, on détruit la nation. Parce que quand on touche la femme, quand la femme est brisée c’est toute la nation qui est brisée; donc moi j’ai voulu un peu montrer les dégâts que cela a causé en fait. Les dégâts du Chaos sur tous les plans: comment est-ce que les choses n’allaient pas, comment est-ce que les choses ne vont pas. C’est juste cette représentation. J’ai voulu mettre la femme avec les pieds en l’air, avec des croix tout autour d’elle, les croix qui représentent tous ces milieus de morts, des croix qui représentent tous ces projets gâchés, des croix qui représentent toutes ces choses qui sont enterrées et qui ne devaient peut-être pas être enterrées, donc c’est un peu ça.
Norme c’est un peu un autoportrait de moi-même où je questionne la vision de la société. Ce que je suis en fait. Qu’est que je dois faire? Quand est-ce que je fais ça? À quelle heure je fais ça? Je me marie quand? J’ai des enfants quand? Je construis ma vie comme la société veut quand en fait? J’ai voulu juste un peu questionner les normes établies. Est-ce qu’on est censée toutes entrer dans les cases à un certain moment, ou est-ce qu’on peut briser les cases, est-ce qu’on peut aller au-delà de ces cases? Le mal être que subissent beaucoup de femmes aussi, à cause de ces normes. Le foulard rouge sur la tête, le blocage qui existe, le malaise qui existe derrière ces normes. J’ai voulu représenter avec le foulard rouge, avec une femme qui porte un voile, avec des fleurs rouges.
J’ai compris que je pouvais, je pouvais me poser des questions. Je pouvais avoir les pourquois dans ma vie. Ce n’était pas un péché, c’est là que j’ai poussé un peu plus loin ma réflexion. Pourquoi Dieu est blanc? Pourquoi ça, ça? Pourquoi le noir c’est mal? Et moi ça m’a toujours révolté. Pourquoi on prie ce Dieu?
Anastasie: Déjà, j’ai souffert de ça. La représentation de l’homme noir dans beaucoup de choses a toujours été représentée d’une manière négative. On va voir même Dieu, Jésus, représenté comme un blanc. Quand tout le monde ferme les yeux, là je commence à guérir de ça, mais à l’époque, tu fermes les yeux tu imagines Dieu, tu l’imagines comme un monsieur blanc avec des barbes blanches, parce que l’imagination collective qui existe, qui a été créée, qui a été endoctrinée, que la civilisation occidentale a voulu vraiment mettre dans nos têtes, pour que même le Dieu qui est représenté en nous soit blanc. Et moi ça m’a toujours révolté, je suis quelqu’un dès le bas âge je ne sais pas, à peine 8 ans, 9 ans, je me posais toujours des questions et on me disait, “toujours pourquoi! Ne te pose pas, il ne faut pas dire ça!” Et quand j’ai fait le latin, en philo avec Socrate et tout ça, j’ai compris que je pouvais, je pouvais me poser des questions. Je pouvais avoir les pourquois dans ma vie. Ce n’était pas un péché, c’est là que j’ai poussé un peu plus loin ma réflexion. Pourquoi Dieu est blanc? Pourquoi ça, ça? Pourquoi le noir c’est mal? Et moi ça m’a toujours révolté. Pourquoi on prie ce Dieu? Quand tu vas dans l’histoire, tu te rends compte qu’en 300, 200 ans, que ces dieux-là on les a connus chez nous en Afrique, avant ça, il y avait quoi?! Moi je me pose toujours ce genre de question, avant ça il y a avait quoi? Qu’est-ce qu’on faisait? Qu’est- ce qu’on était? Ce sont ces choses-là qui ne me permettent pas d’accepter tout. Je n’accepte pas tout parce que je me dis, je me dois d’avoir des réponses en moi-même qui s’accordent avec moi. Je ne veux pas juste accepter les choses et qu’au fond de moi je ne m’accorde pas avec, là je me mens à moi-même. Moi je ne sais pas comment me mentir et ce sont tous ces questionnements-là de recherches, de preuves, je n’ai toujours pas de réponses et je me dis parce que je suis quelqu’un, je suis encore perdu dans beaucoup de choses parce que j’ai pas envie d’accepter tout et je me sens perdu. Parce que j’ai pas encore eu des réponses que je voudrais avoir, mais quand même avec le peu d’avancement que je fais je me rends compte que je peux aimer ma couleur, parce qu’on a tous subi.
Série: Norme
Moi j’ai subi ça quand je grandissais. Tu devais te dépigmenter la peau pour te sentir heureuse, défriser tes cheveux pour te sentir belle. Il y a toujours ces séquelles là en moi parce que j’ai subi ça pendant plusieurs années mais quand même si je peux changer les choses je le fais. Quand je vois mes nièces, les enfants qui vont naître, qu'est-ce qu’on change en eux? Est-ce qu’on laisse la même chose se reproduire? Est- ce qu’on leur montre qu’elles sont belles telles qu’elles sont? Moi je n’ai pas eu la chance qu’on me dise ça comme ça. Et le fait d’assembler le noir dans Super black c’est juste une manière de chercher son identité en fait. De dire que le noir est beau, qu’on n’a pas forcément besoin de changer de couleur pour être situé. On peut être fort, avoir du pouvoir dans le monde et garder son originalité, garder ses racines, accepter qui on est. On n’est pas obligé de ressembler au blanc, on n’est pas obligé de parler français comme on parle là, pour être respecté. Moi c’est un truc qui m’énerve mais je suis née dans un pays francophone c’est la langue qui se parle, et je suis dans un pays où on parle le français, donc je dois parler. Ce sont des choses que je me dis: est-ce que mes enfants, j'aimerais qu'ils soient dans le même système que moi? C’est un truc que je ne peux même pas concevoir dans ma tête. Donc tout ce qui se passe aujourd’hui est relié à une source; et la spiritualité déjà, vu qu’elle était détruite, on ne croyait plus en nous-même je pense, on a cru à quelque chose qui n’était pas de nous, en même temps on suit quelque chose qu’on ne maîtrise pas, on est perdu dans cette chose. Moi je pense qu’on est perdu. L’aliénation elle touche tellement des couches, des couches, des couches en nous que je me pose la question: est-ce qu’on va s’en sortir un jour? Bon moi je suis un dans une démarche vraiment de questionnement; je n’ai pas de réponses. Je veux juste questionner les choses mais on verra, peut-être j’aurai la réponse en chemin je ne sais pas mais c’est juste ça.
Mariam: Tu sais, je suis comme toi et pour moi je n’accorde pas vraiment d’importance aux réponses parce que le processus de questionnement c’est là où il y a en fait la richesse; parce que quand on arrive à des réponses parfois là aussi il faut faire attention parce que c’est aussi des choses qui déjà existaient mais le processus de questionnement continu à nous pousser à rentrer dans les zones d’ombres, à rentrer dans les crevasses et à constamment, constamment descendre en profondeur dans ce qui nous interpellent et pour moi c’est ça où il y a vraiment la beauté. Il y a de la beauté dans le questionnement mais pas nécessairement dans les réponses. Et à travers par exemple ta série Super Black, la série je pense c’est Visible. Non Limite. Où vraiment la peau noire est beaucoup plus foncée et ces visages avec des…
Anastasie: Limite c’est un autoportrait de moi-même. C’est moi-même je me suis prise en photo et c’est une série où je questionne mes limites en tant que personne déjà sans genre et tout. Et, comment est-ce que je me vois et, comment est-ce que la société me voit au fait, me perçoit. Est-ce que je me sens à l’aise avec ce regard, est-ce que je me sens à l’aise avec mon propre regard sur moi? Donc je questionne un peu tout! Toute cette complexité là qu’il y a autour de la personne que je suis!
Mariam: Et justement tu as aussi une série appelée: Voile.
Anastasie: Ah Voile! Voile est une série que j’ai créé en 2018 aussi et j’ai gagné un prix avec ça. C’est une série qui a marqué aussi ma carrière. Voile parce que dans voile je questionne les tourments, les émotions que cachent beaucoup de femmes en elles. J’ai voulu un peu qu’on s’intéresse à l’intérieur, on verra qu’il y a une photo où on voit des croix. La femme qui porte les croix sur sa poitrine c’est un peu toutes ces douleurs, toutes les croix, tous les préjugés, toutes les choses qu’elles portent en elle en fait qu’elle doit subir parce qu’elle est une femme, parce qu’elle est née femme. Elle doit subir tous ces maux, tous ces trucs en elle. J’ai voulu montrer aussi le fait qu’elle se voile, qu’elle se cache, elle se porte en elle tout ce poids qu’elle n’arrive pas à dire, pas forcément à dire mais qu’elle n’arrive pas à aller au-delà de ça, à trouver une résiliente au-delà de ses mots donc c’est un peu ça. Et puis beaucoup de mes photos qui parlent de la femme je peux dire c’est une thérapie pour moi-même parce que la majorité de mes photos ont été inspirées par mes propres vécues, mes propres limites, mes propres blocages en fait et quand je fais ce genre de photos j’ai l’impression de me guérir je peux dire ça , ou de trouver une voie pour ma guérison intérieur parce en faisant ces photos, en les voyant je m’identifie à cette douleur et je trouve un moyen d’aller au-delà de cette douleur aussi, ça me fait une thérapie pour moi.
Mariam: Et justement, pour moi ce qui m’emmène vraiment à parler de la spiritualité dans tes œuvres. Par exemple, ce que je vois dans tes séries comme Super Black, Invisible, et aussi Situation, à travers toutes ces séries-là tu explores aussi ta propre compréhension, tes propres expériences de ta spiritualité. Est-ce que c’était possible pour toi de nous parler de comment est-ce que tu explores tes pratiques, tes relations avec la spiritualité africaine, congolaise, par exemple. Qu’est-ce que tu explores dans les séries comme Situation, comme Invisible, comme Super black?
Limite c’est un autoportrait de moi-même. c’est une série où je questionne mes limites en tant que personne déjà sans genre et tout. Et, comment est-ce que je me vois et, comment est-ce que la société me voit au fait, me perçoit. Est-ce que je me sens à l’aise avec ce regard, est-ce que je me sens à l’aise avec mon propre regard sur moi?
Mariam: Absolument. Je me rappelle il y a deux ou trois ans ou un peu plus que cela, je lisais que les ministres de la santé en Afrique de l’Ouest c’étaient réunis pour parler justement de cette question de la dépigmentation de la peau et je me rappelle avoir ri mais c’était un rire très très triste où le ministre de l’époque de la santé du Burkina Faso disait que, en fait on peut avoir tout comme loi mais la source du problème vient du racisme intériorisé et il disait c’est là où est le problème en fait. On peut demander aux pays d’avoir des législations pour criminaliser tout ceci mais il y a un travail interne à faire mais le constat reste là. On ne parle pas justement de comment décoloniser le cœur et les esprits, et aussi en tant que démarche politique, en tant que projet politique même de nos pays. On ne parle pas de ceci.
Anastasie: On banalise pourtant c’est un grand fléau. C’est un des grands maux en fait. Je ne sais pas pourquoi on n’arrive pas à prendre ça au sérieux.
Mariam: C’est intéressant! Et pour moi c’est encore plus intéressant de voir le silence absolu des mouvements féministes et des mouvements des femmes par rapport à ce sujet-là. Et on parle des choses mais on ne parle pas du danger de la dépigmentation de la peau qui cause des cancers et tout ceci. Ça c’est le danger externe, mais il y a aussi un danger interne. Il faut avoir une haine mais vraiment assez extrême envers soi-même pour pouvoir se faire assez du mal, parce que pour moi c’est une violence en fait, se faire du mal dans ce sens-là. Et là ce sont des choses que dans les mouvements des femmes, les mouvements féministes on n’en parle absolument pas et je trouve ça très très dommage.
Anastasie: Bon qu’est- ce qu’on peut faire? Moi de mon côté quand je regarde, surtout au Congo, c’est un pays où la dépigmentation est élevée aussi, même les hommes et les femmes se dépigmentent la peau et je ne sais pas si ça va s’arrêter aujourd’hui. Il y a aussi une façon de relativiser les choses pour dire. Je ne sais pas si on peut relativiser sur ce genre de choses pour dire bon ça ne va pas changer mais comment on fait pour que les gens prennent conscience au moins de ce qu’ils achètent, quels sont les outils qu’on met en place pour médiatiser sur les risques, je pense qu’il n’y a pas! Dans les pancartes qu’on voit afficher, il y a même un ami photographe qui a fait un travail dessus où il prenait les pancartes qui sont dans la ville en fait, on voit une femme métissée, déjà elle est métissée ce n’est pas ce produit-là qui l’a rendu comme ça. On a mis sa photo avec le produit pour dire que si tu mets ce produit va devenir comme elle. Pourquoi on laisse ce genre de pub mensongère passée? Pourquoi…Pourquoi on ne fait rien? Pourquoi c’est normal?
Série: Limi
Pourquoi c’est normal? Pourquoi c’est normal déjà? Quand est-ce que ça devient normal ce genre de chose? Pour dire qu’il y a cette aliénation, il y a ce complexe derrière. Donc c’est un peu ça.
Mariam: Ça, c’est une question. Pourquoi c’est normal? Pourquoi on a si profondément intégré l’idéal européen de la femme comme quelque chose à laquelle aspirer? Ce pourquoi là est très très profond et pourquoi le marketing pour nous vendre ceci et le marketing qui est maintenant fait par les africains sous nos propres cieux et pourquoi? Pour pouvoir vendre car il y a des débouchés en Afrique, des grands débouchés sur des produits européens et voilà on est des consommateurs et des consommatrices. C’est tellement puissant parce qu’on sait que ce sont des femmes qui élèvent les enfants. Donc si on intègre parfaitement et les femmes sont ciblées et après si on élève les enfants avec le même discours, avec les mêmes aspirations: On dit c’est à ça que tu dois aspirer, il faut aspirer à être ci ou ça, avoir la peau comme ci, avoir des cheveux comme ça…
Mariam: Je voulais revenir un peu sur ce que tu disais par exemple sur la couleur de la peau, le choix que tu as fait de noircir davantage la peau de tes modèles y compris ta propre peau. Je nous regarde un peu toutes les deux, je peux un peu parler un peu de mon expérience de retourner en Afrique. À chaque fois, surtout et ce qui est intéressant, c’est surtout qu’entre femmes, qu’on parle de ceci. Les commentaires que chaque fois j’ai par rapport à la couleur de ma peau, parce que j’ai une couleur noir très foncée, c’est les remarques de mes sœurs, de mes belles sœurs, du genre, “après toutes ces années en Europe, après toutes ces années aux Etats-Unis tu restes encore si noire!” (Rires). Je reçois toujours ces commentaires là et la dernière fois ça m’a tellement frappé parce que tu ne peux pas les voir mais j’ai des tatouages. Mes deux bras, du cou jusqu’aux doigts et je suis tatouée entièrement et bien sûr ça met une autre couche noire sur une peau déjà très noire. La dernière fois que j’étais à Bobo au Burkina, ma belle-sœur me dit, “toi-là qu’est-ce qui ne va pas avec toi? Nous autres on cherche à blanchir, toi tu ne fais qu’ajouter encore des couches noires sur toi.” Tu vois. Je pense quand on parle de cette question de couleur, on n’en parle pas assez je crois, pour moi. Et on ne parle pas non plus, n’est-ce pas, du rôle des femmes qui continuent de perpétuer ceci. C’est nous qui élevons les enfants, donc quand on commence à avoir des discours et à inculquer certaines valeurs, comme quoi il faut avoir honte de sa peau, d’afficher sa couleur de peau, il faut avoir des problèmes avec ceci. Dès le bas âge, ça détruit les enfants, ça détruit leur vie. Tu vois il faut faire tout un travail de guérison pour se réconcilier avec l’image de soi-même.
Anastasie: C’est ça en fait, et je pense qu’on en est encore loin, on n’est pas encore arrivé à ne pas être complexé je pense. On est encore très loin parce que quand on regarde même sur les réseaux sociaux ont fait encore empirer les choses. On voit les femmes qui vendent des produits éclaircissants. Des africaines qui font des commerces avec des produits éclaircissants. Il y a des milliers de femmes qui achètent, et il y a des femmes qui deviennent millionnaires grâce à ces ventes-là. Donc pour dire que jusqu'à aujourd'hui il y a ça en fait et je pense que ceux qui ont voulu complexer les femmes ou les hommes noir.es, ils ont gagné leur pari parce que si on voit le nombre de produits éclaircissants qui se vendent en Afrique et les gens savent que ça va détruire leur peau mais continuent d’acheter, il faut dire que le mal est profond. Quelqu’un, il s’en fout d'abîmer sa peau si longtemps il peut avoir dix ans que son teint sera clair il s’en fout du reste des années où sa peau sera abîmée. Pour dire que le mal est profond en fait, le mal est tellement profond.
Tu ne peux pas travailler, même le jour où j’ai pris les photos de Trace on m’a arrêté après. Juste pour dire que ce n’est pas facile de travailler. Avoir l’appareil photo c’est comme une arme en fait, c’est considéré vraiment comme une arme.
Série: Trace
Anastasie: Déjà je pense je suis penchée plus vers le noir et blanc. Je me sens plus à l’aise avec. Je sens que ce que je veux dire la majorité de temps, ça passe mieux en noir et blanc. Et Trace j’ai laissé en couleur parce que déjà il y avait le bidon, le bidon était en couleur et le fait de le mettre en noir et blanc je ne sentais pas que ça allait marcher avec la série.
Donc tout dépend aussi de la série, tout dépend de ce qu’on veut dire. Comme avec SOS si j’avais mis ça en noir et blanc, il n’y aurait pas cette intensité, cette lumière en fait que j’ai voulu donner à la série parce que le rouge, on voit le danger, le rouge, on voit qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Le contraste entre l’ombre noir et le rouge, je pense que ça a marché avec la série. Mais vraiment ce n’est pas choisi ça dépend juste, il y a d’autres de mes séries où je mélange le noir et blanc avec les couleurs. Je fais le contraste du noir et blanc avec la couleur. J’aime bien mélanger comme ça, je pense que sur le plan esthétique j’aime bien naviguer avec les deux, et la série Trace c’est une série où je suis plus vraiment basée sur le côté studio, parce que j’adore travailler en studio, parce que je sens que je suis libre de faire ce que je veux. Parce qu'au Congo où j’étais, être photographe documentaire c’est pas facile. Tu travailles à l’extérieur, déjà le regard des gens sur toi c’est négatif, les gens disent que tu vas prendre leurs images tu vas les revendre, la police qui s’en mêle, c’est grave.
Mariam: Mais j’aimerais quand même revenir sur tes œuvres et puis parler par exemple de ta série Traces. Tu as commencé avec SOS. La plupart de tes œuvres sont en noir et blanc mais je pense qu’avec Trace et avec SOS c’est en couleur et je voudrais savoir si tu pouvais un peu nous parler de ce choix-là. Pourquoi avoir fait ces deux séries en couleur et aussi un peu plus nous parler de Trace.
La série Trace, le bidon qu’on voit dans la photo, ce sont des bidons de base, ce sont des bidons d’huiles en fait. Quand on achète l’huile et généralement vu qu’on a des problèmes d'eau chez nous, on les réutilise pour conserver de l’eau dans les maisons…En même temps, j'ai voulu parler du recyclage dans cette série.
Tu ne peux pas travailler, même le jour où j’ai pris les photos de Trace on m’a arrêté après. Juste pour dire que ce n’est pas facile de travailler. Avoir l’appareil photo c’est comme une arme en fait, c’est considéré vraiment comme une arme. Tu ne peux pas être à l’aise, au moins soit un blanc, parce que si tu es un blanc on peut te laisser mais on va toujours t’embêter pour dire que ça ne passe pas de travailler avec l’appareil photos dans la ville en fait. Et c’est un truc qui m’a vraiment découragé. Je me suis dit, je vais me concentrer sur un truc que je peux facilement faire dans le studio, je crée mon propre univers et je suis calme là-bas. Et quand j’ai fait la série, le même jour j’ai eu des problèmes après ça; m’a encore plus découragé. Donc l’objectif de la série, les photos ont été prises à Kinshasa, mais si tu ne connais pas Kinshasa tu auras l’impression que c’est dans un village. C’est au village mais c’est vraiment à Kinshasa. Et à Kinshasa il y a plusieurs atmosphères. Il y a l’atmosphère, tu vas dans les endroits où tu trouves la classe haute et la classe basse donc c’est vraiment deux mondes parallèles en fait et il y a des gens qui vivent dans une précarité insoutenable à Kinshasa. La série Traces, le bidon qu’on voit dans la photo, ce sont des bidons de base, ce sont des bidons d’huiles en fait. Quand on achète l’huile et généralement vu qu’on a des problèmes d'eau chez nous, on les réutilise pour conserver de l’eau dans les maisons, et il y a d’autres qui réutilisent ces bidons pour vendre de l’huile de palme ou vendre l’alcool local. En même temps, j'ai voulu parler du recyclage dans cette série. J’ai voulu montrer un peu, je pense, la manière dont on peut réutiliser les choses dans des contextes différents. En même temps j’ai voulu tout simplement monter un peu le décalage qui existe entre les personnes qui vivent dans une même ville et en même temps j’ai voulu… il y avait des femmes dans les bateaux entrain d’aller chercher de quoi manger et ces images-là m’ont … l’effort en fait. L’effort qui reste dans les temps. J’ai voulu montrer ça dans cette série. C’était vraiment une série où je n'avais rien prévu. J’étais juste sortie; je voulais juste faire des photos et je suis tombée sur cette atmosphère, c’est le décor qu’il avait tout autour de moi qui m'a plu. Et avec Trace on voit le reflet de bidon dans l’eau tout ça là. J’ai voulu, j’ai joué d’abord avec la technique, et avec la composition.
Mariam: Ces bidons jaunes, ce sont des bidons qui sont aussi très présents, par exemple au Ghana c’est le même processus.
Anastasie: Voilà! Au Ghana il y a même beaucoup d’artistes qui réutilisent ça. Anatsui. Il fait des tableaux avec des bidons recyclés. J’ai dû oublier son nom vous connaissez l’artiste?
Mariam: Non, non, je ne pense pas.
Anastasie: Il y a un autre (Serge Attukwei Clottey) qui fait des masques avec des bidons recyclés vous ne connaissez pas non plus?
Mariam: Je ne connais pas et cela ne m’étonne pas parce que le bidon est tellement dans le paysage.
Anastasie: Voilà, le Ghana, surtout le Ghana oui.
Mariam: Je voudrais parler de l’une de tes préoccupations également qui, à travers ANAS Vision, d’avoir une initiative qui essaie de former les futures générations à l’art de la photographie. Pourquoi as-tu eu cette initiative? Et pourquoi pour toi, il est important, en tant que photographe, de vouloir former les générations futures?
Anastasie: Bon, je ne dirais pas que c’était juste pour former, l’idée ça a commencé en 2016. L'idée c’était juste d’avoir mon agence de communication où je proposais des services et avec le temps, avec mes propres expériences j’ai vu que…Déjà moi pour apprendre c’était difficile. A l’époque quand j’ai commencé la photo il n’y avait même pas des écoles ni de facultés de photos. Donc pour dire que, pour apprendre la photo, tu devais aller à l’académie des beaux-arts pour suivre la faculté audiovisuel.
Série: Trace
Et ce n’est pas tout le monde qui a les moyens, ce n’est pas tout le monde qui a envie d'aller à l’université. Il n’y a pas d’institut où tu peux juste faire la formation de six mois, une année. Et moi j’ai toujours voulu transmettre ce que je pouvais transmettre. Avec ma structure on a commencé en 2018 à créer des formations parce qu’il y avait la demande. Il y avait des gens qui m'écrivaient sur Facebook. Il y a des gens quand ils ont commencé à voir mon travail, quand j’ai gagné un prix au Congo qui m’a ramené beaucoup de visibilité. Les gens comptaient sur moi pour apprendre et je me suis dit comment je fais ça? Moi-même je n’ai pas fait d'études, moi-même je n’ai pas fait ça. Mais si les gens veulent aussi apprendre à travers moi, je peux créer aussi des formations avec ma structure. C’est là que j'ai commencé à faire des formations avec des jeunes. J’ai commencé à aller travailler avec des ONGs qui travaillent avec des jeunes filles démunies pour leur apprendre la photographie comme un métier, pour trouver des sources de revenus plus tard et pour l’autonomisation de ces jeunes filles. Avec la structure on a commencé à organiser des ateliers, des conférences avec des photographes, donc de structurer un peu la photographie, parce que l’objectif de ANAS Vision c’est de promouvoir la photographie au Congo et en Afrique. L’idée était de structurer, rassembler les photographes, discuter sur les problématiques, comment on fait pour être déjà respecter avec notre travail. Comment on fait pour que la photographie soit vraiment organisée. Que les photographes aient des cartes. Donc c’était un peu l’objectif de ma vision et j’ai quand même fait depuis qu’on a commencé en 2018, quatre à cinq éditions de formations, de conférences, des ateliers. Et je vais aussi parler avec des jeunes des universités de ma ville pour faire de petits tas de choses avec les jeunes et tout. Donc vraiment le but de ma structure plus tard c’est de créer un grand centre au pays où on encadre les jeunes, où on leur donne un métier pour qu’ils s’en sortent dans leur vie. L’objectif c’est de vraiment promouvoir l’art et puis de montrer qu’il n’y pas que le droit. Parce qu’au Congo il y a le droit, l’économie, il y a la médecine, ce sont les grandes facultés. Moi je pense que si j’ai choisi le droit à l’époque c’était parce que quand on a fini l’humanité moi et mes ami.e.s on s’est dit on va où, on fait quoi? On n’avait que ça comme faculté. Je pense vraiment qu'on ne choisit pas, parce que c’est ça qu’on nous propose en fait. Parmi les trois choix tu dis ok moi je me sens quand même plus vers celle-là. On n’a pas beaucoup de choix, les jeunes n’ont pas beaucoup de choix, tout est conservé comme l’époque coloniale, toutes les facultés qu’on nous a laissé là on continue juste à suivre ces facultés. On ne revisite pas l’éducation nationale, on ne revisite rien. Quand je dis qu’on est toujours colonisé.e, en quelque sorte les administrations continuent de fonctionner de la même façon, l’éducation continue de fonctionner de la même façon. Donc pour dire quand un jeune fini il ne sait pas quoi faire. Il va dans une faculté on lui dit il y a ça, il y a ça. On ne laisse pas les talents se développer, on ne soutient pas les talents, on ne soutient pas les gens en fait. Donc l’objectif c’est vraiment promouvoir l’art à travers la photo. Ça peut être aussi on peut élargir mais on a commencé avec la photo. J'espère que dans trois, quatre ans on pourra réaliser ce projet de centre.