LE POUVOIR DE L’IMAGE
“Google t'apprend tout sur les appareils, sur tout, donc pour moi c'est ce qu'il y a dans nos tripes, comment on fait sortir ça et être fidèle avec nous-même? C'est ça le travail dont nos jeunes ont besoin, parce qu'on est éduqué à être timide, à ne pas dire non d'une façon brutale à un adulte, à baisser les yeux, à ne pas sortir certaines idées folles”
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19.10.23
En fait, quand je prenais les photos, je voulais avoir ces choses-là que j'ai en tête, c'est-à-dire ce contraste entre cette femme super bien habillée, belle comme ça, assise sur la poubelle, je voulais matchée ça en une image, et montrer ça aux gens.
__ Ina Thiam
Photos de Ina Thiam
Entretien de Mariam Sako Armisen
Ina Thiam: Je suis photographe et leader sénégalaise, j’ai beaucoup été formée dans des associations, j'ai fait l'université, les Sciences-Eco, et ensuite j'ai adhérée à une association qui s'appelle Africulturban, parce que j'étais vraiment intéressée par les cultures urbaines et de cette association, j'ai appris énormément de choses dont le management, l'audiovisuel, la photo, la vidéo que je pratique aujourd'hui et je suis aussi membre de l’association Genji Hip-hop, qui regroupe des femmes qui sont dans les cultures urbaines, donc on y retrouve des personnes de différents métiers. Aujourd'hui, j'ai une dizaine d'années d'expérience en photographie, surtout en audiovisuel, et mon travail est vraiment axé sur l'environnement, les femmes, le sport et la culture. Je suis très intéressée par les femmes qui font du sport et voilà je pense que en gros, c’est ça!
C'est comme une école alternative, ils cherchent des solutions à travers la culture, c'est-à-dire qu’ils forment des jeunes, ils trouvent des fonds pour des formations de jeunes, qui n'ont pas les moyens d’aller dans de grandes écoles et de payer ces formations-là, donc je me suis dit, eux ils servent mieux la communauté que moi, même si je suis à l’université donc en réalité je me suis posée des questions sur, “on sert à quoi en réalité”?
Mariam: Merci, je voudrais revenir sur cette question, pourquoi ton intérêt pour le sport ? Mais avant ça j'aimerais bien qu'on puisse parler, de pourquoi cet intérêt pour les cultures urbaines? Qu'est-ce qui t'a attirée vers les cultures urbaines?
Ina: J’ai grandi dans une grande famille où j'ai beaucoup de grands frères et de grandes sœurs, donc dans la maison, tu entends du reggae, du rap. J’ai beaucoup été avec mes grands frères, une partie écoutait du reggae et l’autre partie écoutait beaucoup de rap, donc je connaissais beaucoup d'artistes, genre à mes 12,13,15 ans donc j'ai grandi avec cet environnement de cultures urbaines. J’avais ma grande sœur (qui est décédée aujourd'hui) qui était dans la même école, que deux ou trois groupes de rap de notre quartier. Du coup j'allais à des concerts, à des événements au lycée. Je faisais partie de ceux qui organisaient les activités culturelles, Concernant cette association Africulturban, j’y étais allée juste pour visiter réellement. On m'a fait visiter les locaux, présenter les membres de l'association, les membres du bureau et j'ai eu un tic, parce que nous, dans l'éducation qu'on a d'habitude au Sénégal, et ce n'est pas seulement au Sénégal, on pense que la réussite c’est, d’aller à l'université, être dans un bureau, avoir une belle voiture, une belle maison et moi j'arrive dans cette association, je vois des gens qui n'ont pas le bac comme moi, qui ne sont pas allés à l'université et qui sont en train de faire un travail énorme. C'est comme une école alternative, ils cherchent des solutions à travers la culture, c'est-à-dire qu’ils forment des jeunes, ils trouvent des fonds pour des formations de jeunes, qui n'ont pas les moyens d’aller dans de grandes écoles et de payer ces formations-là, donc je me suis dit, eux ils servent mieux la communauté que moi, même si je suis à l’université donc en réalité je me suis posée des questions sur, “on sert à quoi en réalité”? C'est quoi la réussite? Et depuis ce jour j’ai commencé à aller dans cette association parce que ça m’intéressait. C'est comme si je m’étais dit, “c’est ça que tu cherchais", et de là, j’ai commencée aussi à suivre mes envies, m’ouvrir à des choses, je me cherche, j'ai fait de la programmation, genre de la production musicale au début, ensuite comme je suis adepte de lecture, on a eu un projet ensemble, qui est un projet de centre de documentation sur les cultures urbaines, et c'est avec ce projet là que je suis vraiment ancrée dans le travail de l'association, parce que c'est ça qui m’intéressait, je voulais manager ce projet, il fallait que j’apprenne le management, que j’apprenne aussi l’audiovisuel, parce que l’idée de ce projet c'était de créer des archives, un centre de documentation.
Donc il faut que je créée des archives de ce qui s'est passé avant dans les cultures urbaines, mais également ce qui se passe aujourd'hui, pour que les lecteurs, les autres personnes qui viennent les chercher, puissent avoir de la matière donc aujourd'hui si je peux me dire artiste photographe je le dois aux cultures urbaines.
Mariam: Et justement, est-ce que tu peux nous parler de pourquoi la photographie et la vidéo? On peut commencer par la photographie déjà.
Ina: Je n’ai pas appris la photographie en réalité, pour le Center Doc, dont je parlais tout à l’heure, URBAN DOC, en tant que manager du Centre Doc, il fallait que j’archive des photos, des vidéos, des articles de presse, des livres, de ce qui se passe autour de moi , dans les cultures urbaines à Dakar. Donc il fallait que j’apprenne à filmer, à faire des photos et cette formation, je l'ai faite aussi dans l'association, c'est un autre projet qui s'appelle Hip-hop Académie, il y’avait management culturel, audiovisuel, graphisme deejaying, et tout ça et donc j'ai fait la formation audiovisuelle, précisément du cinéma . On a fait de la réalisation de la production, cadrage, montage pendant deux ans, genre six mois chaque année, et à la fin on fait un stage et mon premier stage, je l'ai fait au Festival d'Avignon en 2012. Quand j'arrive à Avignon, les rues sont remplies de monde, je retrouve des danseurs toute la journée dans la rue, et nous en tant que stagiaires on avait le programme du festival, et on devait choisir des thématiques, des pièces sur lesquelles on travaille, on fait un reportage et moi je me suis concentrée sur ce qui se passe dans la rue. C'est là où j'ai commencée à faire de la photo, parce que ce moment, cet instant T, ça m’a touchée, ça me disait quelque chose que je ne pouvais pas expliquer à l’instant, mais là je comprends que c'est cette image fixe, ou il n’y a pas de son ou c'est un instant T que je voulais capter et vraiment de retour au Sénégal, j'ai commencée à couvrir les événements, conférences, rencontres, concerts, graffitis. J'ai tout couvert, et c'est vraiment là où j'ai fait le focus sur la photographie, et puis j'ai commencée aussi à parler, à faire de la photo de choses qui n'ont rien à voir avec les cultures urbaines, parce que à un moment donné j'étais un peu bourrée, j’en avais un peu trop de tout ce qui est évènement hip-hop, je voulais autre chose et là j'ai commencée à travailler sur les thématiques, j'ai commencée sur l’environnement. La première thématique ça s'appelle L’envers du décor, et ça a parlé de l'insalubrité, je suis de Pikine la plus grande banlieue de Dakar et je voulais parler de l'insalubrité dans les quartier habités et du rôle que la population joue dans cet environnement-là, et c’est vraiment là où la machine est lancée.
J'ai appelée des amies à moi, dont Wasso, (rires) je leur ai demandée de bien s'habiller comme si on allait en boîte, genre sexy bien maquillées tout ça, et on est allées faire des photos dans la poubelle, j'avais juste un petit tabouret et voilà. Une semaine après, le fils du chef de quartier à organisé une journée de nettoiement.
Mariam: Oh Bravo!
Ina: Donc, quand j'ai eu d'autres modèles et que je suis retournée là-bas pour faire d'autres photos, c'était propre.
Mariam: Wow!
Ina: En fait, quand je prenais les photos, je voulais avoir ces choses-là que j'ai en tête, c'est-à-dire ce contraste entre cette femme super bien habillée, belle comme ça, assise sur la poubelle, je voulais matchée ça en une image, et montrer ça aux gens, parce que les gens ne se rendent pas compte de leurs responsabilités, on ne prend pas la responsabilité de dire, “c'est pas seulement le maire, c'est pas seulement l’État, mais moi aussi j'ai une part de responsabilité à jouer dans ça” et je l'ai fait dans d'autres quartiers et c'était la même chose. J’ai fait ça à Thiaroye, quand je suis allée c'était tout près du Camp Thiaroye, mais il y avait de la poubelle on dirait une installation. Donc je suis arrivée avec un modèle, on a fait nos photos, juste à la fin il y a un militaire qui est arrivé qui dit, “Oui, vous ne pouvez pas prendre des photos ici c'est une zone militaire” et tout ça et j’ai dit “Ah bon! Même la poubelle-là elle appartient au Camp?”
Mariam: Exactement.
Ina: Et donc les militaires n'ont qu'à prendre leurs poubelles, parce que moi tout ce qui m'intéresse ce n’est pas le mur, c'est la poubelle et je lui montre les photos. Comme c'était dans le marché tout le monde est venu, ça à créer un peu de débat, après je suis partie quand je suis retournée là-bas, c'était nettoyé. Donc je me suis dit, continue à faire tes photos tranquilles, les gens vont nettoyer tranquille, après les photos vont être exposées et vendues. Je n’y ai pas pensé et pour moi j'avais déjà atteint mon objectif.
Mariam: Comme quoi le pouvoir de l'image.
Ina: Oui, c'est ça, je connais le public sénégalais, qui tourne, qui regarde une œuvre artistique. Pour les toucher il faut les choquer, il faut vraiment leurs faire mal, ça je l'ai compris.
Mariam: Super! En effet tu sais on est habitué à vivre dans la poubelle, c’est une phrase vraiment poignante, et tu sais à cette plage où on étaient allées, j’ai commencée à prendre des photos, elle m’a dit, non il ne faut pas dire aux gens que c’est moi qui t’ai amenée ici (rires). Après on est partis sur une autre plage, tu vois pour aller manger. C’était censé être des restaurants au bord de l’eau, et en fait quand on est arrivées, j’étais choquée parce que il y avait des chaises qui étaient littéralement sur les poubelles et les gens étaient assis en train de boire et manger sur les poubelles, au bord de l'eau.
Ina: Tu vois ça c'est grave, après on va te dire, oui la pauvreté, non je ne suis pas d’accord. Non mais ce n’est pas une question de pauvre ou riche, non, c'est juste une éducation et qui doit commencer depuis le bas âge et tout le monde a un rôle à jouer dans ça, les familles, l’école, le cinéma, je ne sais pas, les artistes, l’État. Ça doit être une politique.
Mariam: Magnifique. En particulier pour toi, qu’est-ce que la photographie artistique? Et qu’est ce qui nourrit tes pratiques artistiques? Pas seulement en photo mais aussi en vidéo en général.
Ina: Il y’a le commercial en fait, pour moi la photo artistique, c'est un médium que j'utilise aujourd'hui, il y a des peintres, il y a des plasticiens, mais pour moi l'artistique, c'est déjà en nous, quelque chose qu'on développe, qu'on apprend dans une école ou pas, et que après le médium que j'ai choisie, c'est la photographie, parfois c'est la vidéo, et ça a été l’écriture. Ma photographie artistique est un peu partout aujourd’hui, j’arrive à faire des expositions, des résidences artistiques, je travaille sur mes thématiques qui n’ont rien à voir avec le Centre Doc, mais même ce que nous on fait, genre les photos de concerts qu'on prend et tout ça, ça peut découler de l'artistique, donc pour moi l'artistique, c’est vraiment en nous avant d'arriver au médium qu'on utilise et moi ma photographie artistique, les thématiques sur lesquelles je travaille dont j'ai parlé tantôt, c'est l'environnement. Aujourd'hui on peut voir beaucoup de photos ou de travaux qui ont été fait sur la même thématique, mais ce que j'amène moi, c'est ma façon de voir, c'est essayer de mettre des œillères au public, et de décider où je veux qu'il regarde, et quel débat je veux mettre sur la table, donc je ne sais pas si j'ai bien répondu à la question.
Mariam: Absolument, restons sur les thématiques à travers lesquelles tu t’exprimes en tant qu’artiste et puis aussi les débats que tu poses à la société en commençant par l’environnement.Je suis à Conakry, il y a deux semaines que je suis là, quand je suis arrivée, quelqu'un m'a amenée à la plage, quand on est arrivées j’étais choquée, parce qu’il n’y avait plus de sable, tout était couvert de plastique, tu peux pas imaginer à quel point. J’ai pris des photos parce que j’étais choquée, et là elle me dit ça ce n’est rien, ce que tu vois c’est parce que les nettoyeurs viennent de passer, donc si on peut parler de l’environnement pour toi, le débat que tu veux poser sur l’environnement, à travers tes créations artistiques.
Ina: En fait on est arrivé à un moment où, on s’habitue à vivre avec de la poubelle tout autour de nous, et ça c'est dangereux, juste le fait de ne pas se rendre compte que là autour de moi ça là, ce n'est pas possible, il faut qu'on trouve une solution. Mais au-delà de ça, c’est de se dire je suis responsable aussi, tu vois en tout cas moi mon travail sur L'envers du Décor, je suis allée dans mon quartier d'abord, juste derrière chez moi où c'était genre la même chose on ne voit pas le sol, c’est juste les eaux stagnantes et la poubelle. Partout dans la rue, dans des maisons abandonnées, parce qu'il y avait beaucoup de pluie cette saison-là, et que des gens étaient partis, parce que leurs maisons étaient dans l'eau, et donc les habitants qui sont restés dans ce quartier et qui ont pu sauver leurs maisons, ils déversent toutes leurs poubelles dans les rues et dans les maisons abandonnées, et moi ce que j'ai fait, j'ai appelée des amies à moi, dont Wasso, (rires) je leur ai demandée de bien s'habiller comme si on allait en boîte, genre sexy bien maquillées tout ça, et on est allées faire des photos dans la poubelle, j'avais juste un petit tabouret et voilà. Une semaine après, le fils du chef de quartier à organisé une journée de nettoiement.
Mariam: Oui, je suis tout à fait d’accord.
Ina: Moi, je suis allée dans les îles du Saloum, tu vois une petite île comme ça, tu arrives dans l'île, tu peux voir le bout de l’île, donc c'est petit mais tu te demandes, est-ce qu'ils ont une poubelle ces gens-là? Tu vois rien, c’est propre. Quand tu rentres dans la maison, c'est un bâtiment qui n'est même pas fini, il y a pas encore de fenêtre et tu ne vois aucune poubelle, mais c'est organisé, propre, tu rentres dans les toilettes c’est propre. Donc ce n’est pas une question de niveau de vie mais une question d’éducation, et tout le monde à son rôle à jouer dedans, surtout l’art, la culture, parce que nous avons une population très jeune, qui regarde tout ce qui se passe, la musique donc il faut qu'on utilise ces médiums-là pour pouvoir toucher les gens, qu’ils prennent conscience de cet aspect environnemental qui est important.
Mariam: Oui, je suis tout à fait d’accord avec toi, avec le fait que tu dises que c’est une question d’éducation, depuis la base, et quand les enfants grandissent, il faut voir que même les adultes boivent les sachets d’eaux et les jettent sans arrière-pensée. Hier, j’étais avec des jeunes de 20-21 ans, je prenais les photos aussi parce que là-bas aussi, la mer avait ramenée des chaises, des chaussures, des vestes, vraiment tout hein, c’était vraiment quelque chose et puis c'est vrai qu'ils disent “Oui, c’est pollué” mais après on s’assoie et ils mangent, ils boivent, ils utilisent les sachets et après ils les jettent partout par terre, et j’ai dit mais non, il faut qu’on ramasse ceci. Tu sais il y avait des coqs, des poules qui marchaient, il y en avait un le pauvre, qui courrait et était recouvert d’un sachet noir, j’ai dit mais il faut l’attraper sinon ça va le tuer, on ne voit pas l’impact que ça fait aux autres.
Ina: Et, ce qui est arrivé à la poule-là, ça va nous arriver à nous.
Mariam: C’est préoccupant, parce que quand on parle de l'environnement, on s'arrête sur le réchauffement climatique mais on ne voit pas aussi l'aspect de l’insalubrité, la question de l’environnement est plus vaste.
Ina: Oui, parce que tu sais nos pays-là sont conditionnés, ce qui se passe ailleurs c'est ça qu'on amène chez nous. Alors que chez nous la question de l'eau, de l'avancée de la mer, de la terre tout ça, nous on est lié à la terre naturellement et culturellement . Quand tu vas aux îles du Saloum, le rapport de la terre avec les communautés de femmes, le rapport qu’ils ont avec l'eau, ça va au-delà des trucs d'environnement, c'est depuis les ancêtres, mais tu vois l'environnement, le réchauffement climatique, c'est devenu une tendance, les financements viennent de là donc nous aussi on se met dans ça, alors qu'on a un truc basique, qui est là, la poubelle, on est dans la poubelle.
Mariam: C’est vrai.
Ina: Et c'est ça notre problème, en fait les financements, ça vient de oui, l'environnement le réchauffement climatique, mais quand tu regardes jusque-là, les gens quand tu vas au Sud du Sénégal, à l’Est, tout se fait avec la terre, le bois sacré, eux leurs forêts tu n'entres pas dedans, quand tu vas à Oussouye, ils ne badinent pas avec leurs forêts. Donc eux, tu ne viens pas leurs dire de couper les arbres, ils ne coupent pas (rires). Donc c’est à nous, à nos États et nos politiques, qu’ils se disent ok, la tendance ailleurs c’est ça, mais nous aussi localement, c’est quoi notre problématique ?
Mariam: Absolument.
Ina: Qui est urgente.
Mariam: Oui.
Ina: Et c’est ce qu’on ne fait pas. Mais la problématique urgente que nous avons, c’est le plastique, qui nous viens d’ailleurs déjà.
Mariam: Exactement.
Ina: Et qu'on essaye aujourd'hui même de produire. Les sachets en plastique, ça vient plus d'ailleurs, c'est nous qui avons nos machines localement et qui le produisons. Je pense qu’il faut une prise de conscience, il faut vraiment des politiques, ça peut être le privé comme ça peut être l'État, mais il faut qu'on sache quelles sont nos problématiques locales, quelle est la priorité aussi, notre priorité aujourd'hui c'est l’insalubrité, ça c'est sûr, mais bon.
Mariam: Tu touches un point très important, le fait que les thématiques qui prennent de l’envergure, ce sont les problématiques derrière lesquelles il y a des financements, mais les problématiques que nous-même on a créé à travers notre usage excessif du sachet noir en particulier. Au Burkina ça veut dire que le sachet est noir, généralement il y a le poulet qu’on a mis dedans, quelqu’un a acheter un poulet grillé, on le met dans le sachet noir. On ne parle pas de ceci, on ne parle pas du fait qu’on a pas de voiries, ni de caniveaux ou alors on en a et ces caniveaux sont remplis de sachets poubelles et tout ce qui va avec, quand il pleut, l’eau ne peut pas passer et fait des dégâts partout, mais ça n’a pas d’envergure, ça ne fait pas partie des débats sur l'environnement parce qu’il y a pas de financement derrière, parce que ça impact notre vie localement et directement et tu vois, le réchauffement climatique ça a un impact sur la vie des blancs, donc on va mettre de l'argent derrière ceci, mais nous ce que nous produisons, ce qui nous impact localement, il n’y a pas d'argent derrière, on ne fait rien pour ça, c'est triste mais c'est réel.
Ina: Mais après, c'est comme j'ai dit en fait d'une façon globale, les gens veulent se voiler la face mais il y en a qui ne lâchent pas et c'est ça qui est important en fait.
Tu demandes à ma famille et Ina “qu'est-ce qu'elle fait?” Tout le monde te dit, “on ne sait pas, elle rentre tard, elle traîne avec des hommes.” C'est la réponse qu’on te donne et ça aussi, c'est une façon de te mettre les bâtons dans les roues en fait, parce que pour moi oui, je blâme les familles et je le dis à chaque fois que j'en ai l'occasion.
Mariam: Ah, ça c’est clair! on est vraiment livrés à nous même. Merci, je vais rester toujours sur le pouvoir de l’image pour parler de ton autre centre d'intérêt, qui est les femmes et le sport, et pourquoi?
Ina: Parce que moi-même j'ai fait du sport, j'ai joué au basket pendant des années mais j'avais du mal en fait, chez moi genre, j'ai des grands frères donc j'avais du mal à faire un focus sur le basket, parce que je ne voulais pas arrêter les études, j'aime les études donc je voulais faire du basket et des études, ce qui était compliqué, parce que en ce moment moi là où j'étais aujourd'hui il y a des centres qui font basket sport et études ,qui incitent les gens, qui aident les jeunes à pouvoir faire sport et études. Mais avant ce n’était pas le cas, tu devais faire un choix, beaucoup de mes amies avec qui je jouais au basket, elles avaient arrêtées les études pour pouvoir être là tout le temps à l’entraînement et puis ne pas avoir de problème avec le coach, parce que quand tu ne viens pas, le coach dit que tu n’es pas là, donc pour le match tu galères. Et même chez moi, mes frères ils étaient pas trop in pour que je fasse du basket donc ils faisaient tout pour que j'arrive en retard à l'entraînement, ou quand je rentrais tard du basket c'était du genre, “tu traînes trop, qu'est-ce que tu fous dehors?” Tout ça donc pas d'encouragement et du coup, moi j’aurais aimé en ce moment pouvoir montrer à mes frères ou à ma mère, un rôle modèle.Du coup, moi ce sont les problèmes que j'ai eu en tant que jeune. Aujourd'hui en tant que photographe je me dis, je veux montrer des rôles modèles, j'ai commencée par ça en fait, je veux montrer des femmes qui ont réussi dans le sport, qui ont choisi le sport comme métier, parce que c'est des personnes qu'on ne voit pas dans la presse naturellement, genre au journal ou dans un truc commun et j'ai commencée par faire cette série de portraits de femmes, d'athlètes, de basketteuses, de joueuses de rugby, j’ai eu différents profils et c'était intéressant pour moi de montrer ça, parce que il y a des jeunes qui pouvaient s'identifier à ces femmes-là, ensuite j'ai commencée à toucher à beaucoup d'autres choses, le rugby par exemple, je suis habituée je connais le basket sénégalais, je suis habituée à prendre ces photos mais j'ai touchée au rugby, au volleyball, à la lutte sans frappe sénégalaise, et à la lutte gréco-romaine.
Mariam: Et des femmes aussi font la lutte sénégalaise?
Ina: Oui, il y a des femmes. En 2017, je suis allée au Jeux de la Francophonie, j’ai représentée le Sénégal aux Jeux de la Francophonie 2017, à Abidjan 2017 ou 2018 et j'ai été dans le même immeuble avec des lutteuses, avec l'équipe nationale sénégalaise, il y en a une elle fait la lutte gréco-romaine et la lutte traditionnelle, et d'habitude c'est les sudistes qui viennent de la Casamance et tu vois ça c'est quelque chose qu'on ne connaît pas, on ne voit pas tous les jours et du coup, moi c'est des choses qui m'intéressent, l'histoire des gens, le fait qu'elles se battent au quotidien pour faire le sport et leurs études. Aujourd'hui, la capitaine de l'équipe nationale de lutte et elle a aussi les mêmes problématiques. Je l'ai vu en interview il n’y a pas longtemps sur Brut et elle disait toutes les choses qu'on lui dit pour qu'elle arrête ce sport, “elle ressemble trop à un homme, elle doit continuer ses études etc.” Donc c'est des choses qui freinent beaucoup les femmes et moi je ne fais qu'apporter ma petite pierre à l'édifice en faisant ce travail.
Mariam: Merci, mais tu n'as pas choisi, je ne sais pas si tu considères la photographie comme un métier facile, parce que après le sport tu as choisi un métier qui est souvent réservé aux hommes, dans notre contexte en tout cas, je me demande aussi qu’elle a été ton parcours et ton combat dans ce domaine également?
Ina: En fait, il n’y a pas eu grande différence pour dire vrai, sauf que cette fois je me suis dit c'est assez, je vais le faire, parce que là je suis arrivée à l'université en 2eme année, je faisais cours, ensuite mon club de basket était loin dans la banlieue ou j'étais logée à Lucas donc je m'entraînais à l'université au club de Lucas, pour après le weekend jouer avec l'autre club. C'était super compliqué, du coup cette fois je me suis dit, “ok, là il faut que tu fasses un choix, soit tu restes à l'université, soit tu rentres pour faire ton sport”. Mais avec la photographie moi j'ai fait deux ans dans cette association. Tu demandes à ma famille et Ina “qu'est-ce qu'elle fait?” Tout le monde te dit, “on ne sait pas, elle rentre tard, elle traîne avec des hommes.” C'est la réponse qu’on te donne et ça aussi, c'est une façon de te mettre les bâtons dans les roues en fait, parce que pour moi oui, je blâme les familles et je le dis à chaque fois que j'en ai l'occasion.
C'est l’entrée à travers notre image, les gens peuvent savoir, quel est ton caractère? Tes émotions? Est-ce que tu as beaucoup d'énergie? Est-ce que tu as un caractère fou? Est-ce que tu caches des choses? Après ça dépend de qui regarde tes images.
Ina: De rien.
Mariam: Je voulais savoir, on parlait du fait de choquer, pour faire réagir les gens et exposer l’insalubrité et donc je me demande, parce que la photographie qu’on le veuille ou non, en tant que photographe, on s'expose aussi n'est-ce pas, à travers son art, donc je me demande si tu t’invites volontairement dans tes photos? Comment tu jongles avec cette réalité-là? On ne fait pas seulement des portraits de sujets, mais également il y a une partie de nous qui est aussi transmise dans ce que l’on créée.
Ina: Oui, les premières photos que j’ai faites sur l'environnement, L'envers du décor dont je te parle là, c'était une idée que j’avais en tête et je me disais, “Ina, tu ne penses qu’a des choses bizarres, il faut arrêter ça” et il y a eu quelque chose qui m’a dit, “non, vas-y, essaies”. Parce que tu sais il y a des photos d'environnement, d’insalubrité, je ne voulais pas les prendre, je voulais choquer en réalité, et prendre de la poubelle comme ça et puis les gens sont habitués à la poubelle, donc il fallait que moi je trouve quelque chose qui ferait que quand quelqu'un regarde la photo, il se dise, “mais qu'est-ce qu'elle fout là? Elle est belle cette fille, pourquoi elle est assise là?” C'est ça que je voulais mais en même temps, faire de la photo, c'est aussi se mettre à nu.
Mariam: Exactement.
Ina: C'est l’entrée à travers notre image, les gens peuvent savoir, quel est ton caractère? Tes émotions? Est-ce que tu as beaucoup d'énergie? Est-ce que tu as un caractère fou? Est-ce que tu caches des choses? Après ça dépend de qui regarde tes images. Je vais te donner deux anecdotes pour répondre à ta question. Dernièrement, j'étais à la Fondation Montresso à Marrakech, en résidence et j'ai croisé un artiste ivoirien que je respecte beaucoup, j'adore cet artiste là et on a parlé, on parlait souvent et quand je lui ai montré mes images, de ce que je faisais sur Marrakech, il m'a dit, “assieds-toi” Il a regardé, il m'a dit, “ok, je comprends maintenant qui tu es”. Tu vois, il a compris mon caractère, il m'a dit, “je regarde tes images, il y a beaucoup de perspectives, il y a des rideaux pour découvrir ton sujet, de quoi tu parles”. Et il m'a dit, “toi, tu aimes comme ça, tu as beaucoup de rideaux, tu as une carapace qui fait peur aux gens et tu ne veux pas qu'on entre dans ton intérieur”. Moi c'était une claque pour moi, parce que ce qu'il a dit est vrai, et il l'a découvert à travers ma série de photos que je lui ai montrée.
Tu as une fille qui a tel ou tel âge, qui fréquente telle chose, va voir ce qu'elle fréquente, va voir les gens qu’elle fréquente, s'il le faut ouvre le dictionnaire ou regarde ce que c'est ce métier-là. Mais on a tendance à mettre les bâtons dans les roues surtout aux filles, “tu ne peux pas faire ça, tu es une femme, tu peux pas rentrer à telle heure, tu peux pas t'habiller comme ça”. Les gens vont voir, toujours l'apparence, comment les gens vont interpréter, ça passe en premier plutôt que ce qui intéresse genre une personne de ta famille. Et moi la chance que j'ai eue, c'est que je suis la plus jeune d'une famille d'une vingtaine de personnes donc à un moment donné ils n’ont pas le temps pour moi.
Mariam: C’était ton atout alors? (Rires)
Ina: Oui, c'était mon atout, ils n’ont pas de temps à m’accorder des fois, ils ne savent pas à quelle heure je suis rentrée, il y en a qui sont très âgés par rapport à moi, on dirait mon père, donc on ne peut pas discuter en réalité, donc j'en ai profité pour faire mes choses, pour dire eux-là, je vais leur montrer à quel point c'est important, parce que moi mon combat, c'était pas de parler, ni de me battre, ni de bouder, c'était de mettre une chose, de poser des jalons. Le jour où j'ai dit à mon père papa, je l'ai appelé au téléphone et je lui dis, “papa, on va au Festival d’Avignon”. Il a dit, “quoi? toi arrêtes, tu recommences”. Je lui ai dis, “non, papa vraiment je vais en stage au Festival d’Avignon”. Et il m'a dit, “tu connais, c'est quoi le Festival?” Parce que lui, il connaît tout, c’est un adepte de France 24 et RFI, c'est un adepte de la presse française, donc il connaît tous sur les pays africains, les présidents, les coups d'État, les machins, il connaît le cinéma, la culture. Il m'a expliqué des pièces théâtrales de festival de tout ce qu’il sait et enfin il me dit, “mais toi tu ne blagues pas! Je pensais que ton truc-là, tu le faisais et que c'était juste un truc de jeunesse” et je lui dis, “non papa, c'est un boulot, je travaille”. Et c'est là qu’ils ont compris que celle-là, elle ne blague pas. Donc je suis allée, je suis revenue et puis c'est là, ils ont commencé à faire attention à ce que je fais, à dire, à écouter, ou un membre d'une famille du quartier peut leur dire, “ah, j’ai vu Ina dans le journal ou je l'ai vu dans une émission”, ils se sont dit bon ok, c’est à ce moment-là, qu'ils ont commencé à m'aider, à soutenir en fait ce que je fais.
Mariam: Merci, vraiment pour ça.
Faire la photo, c'est vraiment la dernière chose, donc il y a toute une partie de recherches, de lectures et de réflexions, parce que ce n'est pas un truc automatique, ce n'est pas une commande, ce n'est pas un truc pour faire plaisir, c'est vraiment quelque chose qu'on a à l'intérieur de nous et qu'on essaie de partager avec les gens de telle sorte que, eux aussi ils aient ce même ressenti, cette même émotion qu'on a mise.
Mariam: Oui, merci. Comment prépares-tu un projet? Quelle est ta pratique ? Quand tu prends un sujet, comment tu commences à le préparer?
Ina: D'habitude je regarde ce qui est déjà fait, parce qu’on ne créée rien, tout est dit on ne fait que transformer des choses, on ne fait qu’apporter notre touche et en fonction de qui on est, de notre culture, d’où on a grandi, ça apporte une autre authenticité à notre travail. Donc je cherche ce qui a été déjà fait sur cette thématique et puis je lis, je me renseigne parce que tu ne peux pas parler artistiquement d'une chose que tu ne maîtrises pas et puis après j'écoute mon imagination, j'ai énormément d'images dans ma tête, donc quand je pense à toi par exemple, c'est la première fois que je te vois mais au fur et à mesure que je te parle et que j'ai ton nom, j'ai une image que je colle tout de suite à ces écrits-là, donc j'essaie d'extérioriser ces images-là que j'ai en tête. Là, dernièrement je travaille sur la médina de Marrakech et je dois faire le même travail sur la médina de Dakar. Donc quand je parle de la médina et des gens qui y ont vécu, qui y sont nés, qui ont grandi dans la médina. Tu sais Marrakech c'est rouge, c'est des entrées de lumière, c'est un sol rouge, j'ai tout de suite ça en images, je me dis je veux avoir des entrées de lumière et ce travail-là, ça demande du temps, ça demande des jours, je me laisse le temps qu'il faut pour avoir ces images-là. En fonction de ce que j'ai lu, toutes les recherches que j'ai faite et après ça j'écris ma démarche artistique, j'écris image par image ce que je veux voir. C'est comme un cahier de charges, chaque image je l'écris et ensuite je fais mes repérages, parce que je fais beaucoup de photos d'extérieurs, donc je fais mes repérages, je regarde les endroits tout ça avant de faire les photos. Faire la photo, c'est vraiment la dernière chose, donc il y a toute une partie de recherches, de lectures et de réflexions, parce que ce n'est pas un truc automatique, ce n'est pas une commande, ce n'est pas un truc pour faire plaisir, c'est vraiment quelque chose qu'on a à l'intérieur de nous et qu'on essaie de partager avec les gens de telle sorte que, eux aussi ils aient ce même ressenti, cette même émotion qu'on a mise.
Mariam: Merci c'est vrai que pour la plupart des gens quand on n'a pas ces connaissances-là, quand on regarde les photos, il y a très peu de connaissance du fait qu’il y a tout un travail préliminaire à faire et que ce que l'on regarde, c'est l'expression de tous ces cheminements-là. Est-ce que tu peux nous parler un peu de ce projet sur les deux médinas Marrakech et Dakar? Pourquoi c'est deux villes? Et si possible est-ce que tu peux partager? Comme c’est en cours, je ne sais pas, parce qu’il y a des artistes qui n'aiment pas parler de leurs travaux en cours.
Mariam: Wow!
Ina: Donc en photographie, on se met à nu, ça c'est sûr. Après, ça dépend de qui regarde nos photos. Est-ce que cette personne est assez intelligente ou assez critique pour décortiquer notre propre caractère à nous? L'autre anecdote concerne un livre que j’ai fait en 2021 je pense, il s'appelle Issue de Secours et qui parle de la violence sexuelle et de la résilience surtout.
Mariam: Ok.
Ina: Et ce livre est à base de photos et de textes et les photos, c'est des autoportraits et c'est des portraits de moi-même et c'est des semi-nu. Ça c'était tout un problème avec les gens qui m'entourent.
Mariam: J'allais justement te demander comment avait été la réaction surtout de ton entourage.
Ina: Il y a des personnes qui jusque-là, ne veulent pas voir le livre, parce que je parle de violences sexuelles mais en même temps, le fait que je sois à moitié nue dans ces photos-là. Donc ça les regardent, ce n’est pas mon problème, moi je veux parler de ça, je veux faire des autoportraits, je veux voir mon corps et je veux le montrer, parce que le truc c'est des inspirations, plus on est fidèle à notre inspiration, à ces personnes-là qui sont à l’intérieur de nos têtes, qui nous disent fais ci ou ça, plus on est quitte avec notre conscience. Mais je savais que ça allait déplaire et tout ça, mais ce n'est pas ça qui nous arrête.
Mariam: Oui, ça c’est clair, mais ça demande aussi beaucoup de courage, n’est-ce pas?
Ina: Oui, mais en même temps au moment où des gens sont en train de te déstabiliser, au même moment il y a des gens qui sont en train de te donner énormément de force.
Mariam: Oui.
Ina: Et c'est ça qui est intéressant, moi c'est un homme, ce n’est pas intéressant que je dise qui c'est, un homme que j'ai connu dans le hip-hop, qui aujourd'hui il m'a carrément dit, “ je ne veux pas que tu sortes ce livre, si j'étais au courant que tu le préparais, tu n’allais pas sortir ça”. Et je lui ai dit, “je sais que tu ne veux pas, mais c’est sortie, c'est fait, c'est mon travail, ça me concerne”. Et en ce même moment c'est une autre personne du même âge, de la même génération qui a fait l’édition de mon livre et de surcroit un homme. Donc il faut juste te dire que le monde est comme ça, il y aura toujours un pour et un contre. Donc il faut arriver à se dire, “je me concentre sur quoi?” Je me concentre sur moi, sur ce que je veux, pour être quitte avec ma conscience, mais je me concentre aussi sur ces gens-là qui sont entrain de m'accompagner, de me soutenir, de me pousser. Parce que ça, c'est une bénédiction.
Moi ce qui m'intéresse c'est la médina de Dakar, je voulais travailler là-dessus depuis, mais il fallait que je trouve, je vois, parce que la médina de Dakar, est une star, beaucoup d'artistes y ont travaillé.
Mariam: Oui, merci. Deux autres questions pour finir, la première c’est toi en tant qu’artiste photographe sénégalaise qui créée en Afrique et même au-delà, je me demande quel regard toi aussi tu subis. Et comment est-ce que ton art est apprécié à sa juste valeur, en dehors de l’Afrique, parce que malheureusement pour la plupart des artistes ou heureusement ça dépend d’où on est, une personnes noire ne peut pas être simplement artiste, il faut être africaine, américaine-noire. Je me demande, comment tu vis cette imposition? Ou si c’est une imposition comment tu t’ai réapproprié à ta façon?
Ina: Oui, même chez nous on s’attend à ce qu'on fasse des photos de femmes.
Mariam: Je me demande ce que cela veut dire exactement.
Ina: Pas photographier des femmes, mais un truc fancy, esthétique féminin. Tu vois moi ce problème-là je l'ai réglé depuis, parce que je pense que je suis artiste point. Etre une femme noire et tout, ça va arriver parce qu'on peut pas échapper à ça, on vient d'un genre qui a ses spécificités, qui a ses émotions tout ça, je viens d'une culture qui a aussi ses émotions, ses spécificités qui sont à moi, donc forcément ça va apparaître d'une façon ou d'une autre dans mon travail, mais artiste noire ou non en fait, on croise ça cette approche tout le temps, mais moi ça ne me surprend pas, qu'il est une critique ou un regard du genre en tant que artiste noire ton travail doit ressembler à telle ou telle chose, on attend de toi de telle ou telle chose, ça me surprend pas et en même temps ça me fait rien. Parce que moi honnêtement, tout se passe dans ma tête, un jour j'étais en débat et on m'a demandé, d'où es-tu? On habite où réellement? Et j’ai dit, “j’habite dans ma tête”. Je ne fais que sortir ces images-là que j'ai en tête en fonction de telle ou telle chose, telle ou telle thématique, telle ou telle environnement, donc ça ressemble à un travail d'homme ou à un travail de blanc ou ça doit ressembler à tout, ça ce n'est plus mon problème dès que je sors l'image, je suis bon, après il faut s'attendre à tout.
Mariam: Oui, merci et pour terminer, je me demande si c’est cette facilité-là que tu enseignes, si je ne m’abuse, tu enseignes aussi la photographie. J’écoutais une interview de toi, où tu disais que tu n’étais pas intéressée à enseigner la technique parce que les enfants peuvent aller apprendre ceci sur YouTube.
Ina: Oui, moi je pense que mon plus gros kiffe c'est d'enseigner, parce que moi naturellement j'étais une personne très timide, avec un sale caractère, je me regarde aujourd'hui et je me dis que c'est une autre personne qui est là et ça la personne que j’étais n'aurait jamais enseigné, n'aurait jamais partagé ce qu'elle sait faire et aujourd'hui quand j'arrive, je n’ai pas fait l'école des arts, je n'ai pas de diplômes de photographie, et j'enseigne à l'Université, pour moi ça c'est une bénédiction, d'avoir une quarantaine de jeunes devant toi, qui attendent juste à ce que tu les motivent, parce qu'en réalité moi , les choses techniques-là, tout est sur Google aujourd'hui. Google t'apprend tout sur les appareils sur tout, donc pour moi c'est ce qu'il y a dans nos tripes, comment on fait sortir ça et être fidèle avec nous-même? C'est ça le travail dont nos jeunes ont besoin, parce qu'on est éduqué à être timide, à ne pas dire non d'une façon brutale à un adulte, à baisser les yeux, à ne pas sortir certaines idées folles, on est éduqué comme ça, la religion musulmane et la culture sénégalaise, elle est comme ça, c'est ce qu'on nous apprend alors qu' aujourd'hui, moi en tant qu'artiste je dois m'affirmer, il faut que j'ai une confiance en moi et que tout ce que j'ai dans la tête comme idée tout ça que je puisse dire non aussi, il faut qu'on apprenne aux jeunes à dire non, quand il le faut à qui que ce soit, je pense que c'est ça en fait le travail qu'ils ont besoin, et moi je le fais à travers la photographie. Comment eux ils matérialisent leurs personnalités, pas copier des choses mais faire sortir toutes leurs personnalités, tous leurs caractères à travers les images et c'est un exercice pour moi-même, quand j'enseigne, c'est pour ça je leurs dis à chaque fois, “Je suis venue, je ne vous apprends rien, on est en train d’échanger” parce que eux aussi ils m'apportent beaucoup.
Mariam: Et c’est magnifique, comme tu le sais, au départ c'est que le modèle de l'éducation en ce moment, c'est tellement homogénique, on formate les gens, on tue la créativité je dirais, et cette curiosité, ce courage-là à explorer autre chose, et cette autre chose qui est à l'intérieur de nous est très vite étouffée à travers les méthodes d’éducation que nous avons dans nos pays et on apprend la conformité en fait.
Ina: Oui, c'est ça on apprend à se ranger, tout ça mais être open, savoir qui on est, moi j’ai su qui je suis à travers l’art à travers ce que j'ai appris dans la rue, en connaissant les gens tout ça et même la religion le dit, “il faut que tu saches qui tu es? d'où tu viens? pourquoi tu es là?” Et donc le travail artistique que nous on fait, au contraire ça aide, ça facilite à savoir qui on est? Et pourquoi on est là? Et pour moi ça c'est la question de la quête de soi, il n’y a pas meilleure quête que ce qu'on fait là.
Ina: Non, ce n’est pas grave. Ecoute la Fondation Montresso, a un projet, c'est une résidence artistique, qui s'appelle Jardin Rouge, et cette dernière à un projet qui s’appelle In-Discipline et qui reçoit chaque année un pays, de nombreux artistes d'un seul pays. Cette année c'est le Sénégal qu'on reçoit et moi j'ai été sélectionnée avec ces artistes-là qui vont aller à Montresso, et après il fallait proposer quelque chose, une thématique sur laquelle on travaille, il faut travailler. Moi ce qui m'intéresse c'est la médina de Dakar, je voulais travailler là-dessus depuis, mais il fallait que je trouve, je vois, parce que la médina de Dakar, est une star, beaucoup d'artistes y ont travaillé, ça peut être n'importe quelle médina, parce que elles sont très convoitées donc il fallait que je cherche, je vois ce qui est déjà fait, que j'apporte un autre angle, un autre regard, de cette médina-là et quand il y a eu la résidence au Jardin Rouge, je me suis dit ,”allez, il faut faire les deux médinas”, tu as commencée sur Dakar, c'est Marrakech et après parce que le truc c'est de voir, quelle est la liaison en fait entre ces médinas, parce que il y a aussi une médina à Bamako. Ensuite il y en a, dans beaucoup de villes musulmanes, qui ont un lien avec la religion musulmane. En même temps il y a un rapport avec la France, qui est pays colonisateur dans l'histoire des médinas, il y a la partie musulmane, religieuse, mais il y a la partie française et moi c'est ça qui m'intéresse en fait en fonction des médinas. Mais que cette histoire soit racontée par des habitants de la médina d'aujourd'hui, donc ce que je fais c'est que je prends six à sept personnes qui ont des âges différents, de générations différentes et ils racontent leur médina à eux.
Mariam: Ok.
Ina: Leur quotidien, leurs rapports avec la médina, à Marrakech j'ai eu un vieux de 77 ans, qui me parle de sa jeunesse tout ça et après c'est en fonction de leurs histoires, que je fais leurs portraits et d'autres photos de la cité, parce que en réalité mon modèle c'est la ville en tant que telle, ces personnes sont juste des “corps”. Donc j'ai fait ça à Marrakech, je dois faire ça sur Dakar et le tout doit être exposé en février, au One Fifty Four de Marrakech.
Mariam: Super, c’est magnifique. Est-ce qu’il y aura un aspect vidéo ou écrit? Vu que tu as recueillis des conversations.
Ina: Oui, il y a des textes. En fait, ce qu’ils me disent, les interviews que je fais avec les personnes, je les transcris. A Marrakech je les ai transcrits en arabe et en français et je réécris le texte sur un tissu très léger blanc, que je jette dans les rues et je les prends en photo.
Mariam: Ah, c’est intéressant.
Ina: Donc il y a cette partie écrite, mémoire, parce que ce n’est pas moi qui parle, ce sont les habitants qui parlent et donc le texte, leurs interviews, j'ai écrit la version française et arabe sur le tissu et des fois j'accroche le tissu dans un escalier ou une fenêtre et puis je fais la photo de ce tissu là et on arrive à lire, ce que la personne à écrite.
Mariam: Oh, c'est magnifique! Ce n'est pas la personne qui est photographié mais c'est un autre aspect de la présence de la personne qui est capturé.
Ina: C’est ça, je fais d'abord un portrait de la personne dans un lieu qu’elle a choisie et ensuite je fais une photo du tissu, avec les écrits donc c'est des diptyques.
Mariam: Wow, c’est magnifique! Il me tarde de voir ceci quand ça sera exposé. J’aimerais revenir sur L’envers du Décor particulièrement je me demande si tous les modèles que tu as photographié c'était des femmes? Et si oui pourquoi ce parti pris là ? Je pose cette question parce que comme on le sait, dans le contexte ouest africain, je dirais l'insalubrité, c’est les femmes, je ne sais pas comment c’est au Sénégal mais au Burkina c’est les femmes qu’on va blâmer quand la maison n’est pas propre, quand le quartier est sale, c’est la femme qu’on blâme, comme pour tout de toute façon, mais tu as choisi d'avoir des modèles de jeunes femmes magnifiques habillées en sexy comme tu dis et posées sur des tas d'ordures, donc je me demande si il y a un discours politique? Et derrière ce choix de modèles en particulier féminin?
Ina: Oui, c'est comme tu as dit c'est les femmes qu’on blâment, c'est les femmes qui amènent la poubelle, quand la voiture sort, en tout cas chez nous, c'est les femmes qu'il faut appeler pour ramener la poubelle à la voiture, c'est les femmes qui nettoient dans les maisons, dans les quartiers tout ça, dehors très tôt le matin, alors après la prière c'est des femmes qu'on voit dans les quartiers populaires, qui balaient l'extérieur de la maison. Donc moi je voulais juste rester dans cette dynamique-là, mais quand tu vois une femme assise dans un périmètre carré énorme de poubelle, tu te dis, “Ah là, ça va au-delà de ça”.
Mariam: Exactement, oui.
Ina: Tu vois c'était ça aussi l'objectif de se dire mais, ok d'accord mais ça tu regardes l'image tu sais que ça va au-delà de cette femme assise là, c’est tout un quartier, c'est toute une population.