Quand on apprend à se connaître les barrières tombent
Coumba Touré
11 Avril, 2023
Nous sommes les mêmes. Nous sommes aussi les mêmes avec les mêmes blessures, les mêmes insultes qu’on nous a faites et les mêmes exploitations et c’est la même chose. En fait quand on est positionné d’un côté on pense que l’autre a eu mieux.
Coumba Touré est une pionnière du féminisme panafricain, une artiste, auteure de livres d’enfants et conteuse. Elle utilises l’éducation populaire, l’art et le plaidoyer pour promouvoir le féminisme, le panafricanisme, la philanthropie et la justice sociale dans le monde entier. Elle est la créatrice des Géantes Invisibles, un projet d’archivage qui rend hommage et célèbres les contributions des femmes Sénégalaises. Pendant plusieurs année elle a été la représentante d’Ashoka Sahel, a contribué à la construction de Africans Rising, et est présentement une membre du conseil d’administration de la fondation TrustAfrica. Vous pouvez en savoir plus sur ses très nombreuses contributions aux liens suivants: Kuumbati, InvisibleGiants, BaobabCenter, TrustAfrica.
Photo crédit: L’Afrique c’est chic World
Féministe
Transcription
Coumba Touré: Je suis Coumba Touré. Je vis à Dakar. Je suis une Ouest Africaine, Panafricaine, noire, féministe et écrivaine. Je publie des livres pour enfants, et je suis engagée comme militante dans la lutte pour les femmes et dans les mouvements féministes.
Mariam Armisen: Et cela remonte à quand, votre engagement?
Coumba: Ouf (rires) alors d’aussi loin que je me souviens, les gens m’ont appelé féministe avant que je ne sache ce que ça voulait dire (rires). Je ne savais pas ce que le mot signifiait mais ça revenait à certains moment où je disais des choses ou défendait des cause ou faisait tout simplement des réflexions que je considérais comme tout à fait normale et que tout le monde pouvait le faire. Ce n’est pas grave si c’est une fille ou garçon pouvait le faire ou des couleurs machin, et les gens disaient que “mais tu es féministe!”. Je disais ah bon? Je ne sais pas ce que c’est sait, si ça se mange ou quoi. Mais c’est revenue assez longtemps qu’on m’a collé cette étiquette avant que moi-même je ne l’assume. Aussi loin que je puisse me rappeler j’étais un peu plus jeune et bien avant, en tout cas même la majorité, j’ai vu je pense un petit extrait de Mariama Bâ qui a écrit Une Si Longue Lettre. C’était un extrait télévisé, dans cet extrait, on la montre entrain de dire quelque chose dans ce genre, “oui si défendre les droits des femmes, si vous pensez que les femmes ont droit un épanouissement, etc. etc., c’est être féministe. Donc je suis féministe”. Je me rappelle clairement d’avoir vu ça et quand j’ai regardé, ce qu’elle dit là, c’est moi aussi et de reconnaître que voilà, je suis dans ça. Maintenant, en termes d’actions réelles, je pense qu’autour de mes 20 ans je me rappelle ou un peu avant, m’être engagée avec l’association pour la promotion des femmes Sénégalaises avec d’autres groupes de personnes qui mettaient en lien le cas de Kigance, de cette femme de 22 ans avait été battu et qui était décédée de suite de cette bastonnade par son mari. Les groupes de femmes Sénégalaises avaient décidé d’en faire un cas spécifiquement parce que son mari était d’une très grande famille religieuse, très respectée, etc. et les choses étaient un peu juste couvertes. Mais il y a eu une marche et je me vois encore très jeune, entrain de coller dans les rues de Dakar, les posters de cette jeune femme, et d’être engagée entant que militante, en me disant qu’il faut faire quelque chose! On ne peut pas juste laisser des choses comme ça se passer!
Coumba: Vraiment c’est vrai, il y a une invisibilité des féministes africaines et dans tous les domaines. Celles qui sont généralement les plus connues sont celles qui sont dans les domaines académiques et même là, nous avons celles qui sont dans l’académie, dans les universités, et dans la production et qui ne sont pas bien connues. Quand je dis Ayesha Imam et tout ce qu’elle a fait et écrit et Fatou Sow, tout ce qu’elles ont écrit, elles ne sont pas connues, elles ne sont pas connues, surtout que ce soit dans le monde francophone comme dans le monde anglophone. Très peu les connaissent. Donc, Il y a un travail à faire pour résoudre la question de cette invisibilité et chacun peut le faire à sa manière. À ma petite échelle, ce que je fais c’est une célébration mensuelle à Dakar que j’appelle les Géantes Invisibles. C’est une danse, un sabar, on organise un sabar très grand et on invite des femmes qui vraiment ont contribué, ont fait des choses importantes et intéressantes et nous les célébrons. Nous parlons d’elles et de ce qu’elles font. Nous invitons les gens à venir témoigner. Pour nous c’est aussi une façon de les nourrir aussi et de leurs dire merci! Mais c’est aussi une façon d’apprendre aux plus jeunes et à d’autres personnes ce que celles-là ont fait. C’est assez simple comme concept c’est juste de réunir, de demander aux Géantes Invisibles de venir, d’inviter leurs ami.es, leur famille, et nous aussi d’inviter des personnes qui sont liées à nos réseaux, aux écoles, etc. à venir, à entendre et à écouter. On va aller vers une publication de leurs photos et leurs bios, etc. Ça je pense que c’est une petite façon. Et entant que membre du board du fonds d’action d’urgence pour les femmes, il y a une période où on a travaillé sur un beau livre, un livre de table qu’on a appelé Géantes Invisibles aussi où on a demandé aux gens des noms de femmes qu’ils ou qu’elles voudraient honorer, de nous envoyer une photo et la bio et on a publié ce document. Donc, il y a une certaine documentation qui est en train de faire et petit à petit. Je vois que le forum des féministes Africains, a aussi un très, très beau livre qui donne un peu des informations sur les féministes africaines. Très, très beau et je pense qu’il y a une seconde édition qui normalement devrait sortir. Il y a une qui est très puissante et il y a beaucoup, beaucoup de féministes africaines. Mais ça s’arrête encore au niveau de la biographie. Ce dont on a besoin c’est tout ce qui est de la production de connaissance, la production artistique, etc. et aussi de l’histoire des mouvements. Qu’est-ce qui s’est passé, qu’est-ce qui s’est passé à Yewwu Yewwi. Quelqu’un devrait documenter ça parce que c’était extraordinaire. Comment un groupe aussi puissant et pendant si longtemps et maintenant qu’on n’attend plus parler. Qu’est-ce qui est arrivé? Ce sont des choses que les nouvelles générations doivent savoir. Qu’est-ce qui se passe dans le leadership des organisations? Comment on les maintiennent? Bon, AWID aujourd’hui fait 30 ans et ce serait intéressant de regarder dans l’histoire de nos organisations. Qu’est-ce qui est arrivé et ça c’est vrai on n’a pas toute la documentation qu’il faut.
Mariam: Ça doit être un truc plutôt Francophone et je me demande s’il y a la dimension genre aussi la dedans, du fait qu’on ne valorise pas notre propre contribution dans tout ce qu’on fait, parce qu’on est dans un système où on prend pour acquis tout ce que l’on contribue.
Mariam: Je veux revenir un peu à quand on vous disait, “Tu es féministe!” C’était avec quel ton? Est-ce que c’était un compliment ou une insulte?
Coumba: Je pense que quelque fois c’était une insulte et quelque fois je pense que c’était juste une réalisation, genre, “C’est un peu tôt pour toi. Comment tu peux être féministe si tôt et si jeune! Tu n’es qu’un enfant, presque, et tu tiens des paroles comme ça, du genre, les filles peuvent faire ça et les garçons et les filles c’est la même chose, etc. on a les mêmes droits et en tout cas, si quelqu’un a envie de faire quelque chose, on devrait pas la bloquer”. Toujours j’ai eu des réponses, quelquefois, presque des accusations, comme si c’était dangereux. C’était pas quelque chose de positif hein, tel que, c’était dit souvent, c’étaient des gens qui quelquefois étaient fâchés ou même énervés par les types de postures ou de positions que je prenais.
Mariam: Depuis votre engagement jusqu’à nos jours, comment est-ce-que vous avez vu évoluer le mouvement féministe?
Coumba: Alors, ce que j’ai vu, je sais qu’il y a une génération avant nous, une génération qui m’a inspiré même si elle n’était pas beaucoup plus âgée que nous. Elles n’étaient pas mères mais au moins des jeunes tantes, etc. Moi je suis de 1973 mais de gens qui ont 10 ou 20 ans de plus que moi qui nous ont inspiré. Je vois les féministes comme les Ayesha Imam, Fatou Sow qui vient de passer c’est une autre génération. Au Sénégal il y avait ce mouvement Yewwu Yewwi, des féministes Sénégalaises. Donc il y a toute une génération que je considère qui était une génération plus dynamique où il y avait plus de mouvements. Je pense aussi qu’elles ont bénéficié un peu des mouvements des années 60s où les gens étaient dans la contestation et dans les changements. Elles sont aussi un peu de cette tradition là. Mais pour celles qui sont de ma génération, j’ai l’impression qu’il y a comme un creux. Je n’ai pas eu beaucoup de ma génération avec qui j’étais dans un mouvement où on était régulièrement en train de chercher à se battre, et de faire des choses, etc. C’est comme s’il y a eu un creux dans la vague. Et aujourd’hui, je vois une nouvelle vague qui se lève et je vois des plus jeunes que moi de 10 ans de moins ou 20 ans de moins qui sont dans un véritable esprit de militant et de militantes qui cherche vraiment à pousser les barrières autour des questions féministes. Ça m’inspire beaucoup. Je me dis que c’est notre rôle de les soutenir au maximum, de les rendre visibles, de leur donner les outils que nous avons développés et d’accompagner cette vague montante. C’est ce que je vois de ma propre perspective, qui n’est pas basée sur aucune étude. C’est vraiment basée de ma perspective personnelle, de ce que j’ai remarqué.
Mariam: Justement pour soutenir cette nouvelle vague, il faut vraiment être curieuse pour chercher le travail que les féministes francophones, que les féministes Africaines ont fait. Il n’y a pas vraiment de documentations. Quel est le rôle, qu’est-ce que l’on peut faire justement pour qu’il est cette continuité en termes de connaissances de ce qui a été fait, pour bâtir et plus armer, qu’on ne se retourne toujours pas, il y a une jeune qui a parlé de audre lorde, on se retourne vers les noires Américaines pourtant il y a un travail phénoménal qui a été fait par les féministes en Afrique.
Coumba: Ça c’est vrai qu’il y a la question du genre. Quand on est femme et qu’on crée, qu’on produit, qu’on travaille, il y a déjà comme un voile qui est déjà posé, qui diminue notre rayonnement. Il y a des choses que nous faisons entant que femmes aujourd’hui si on était des hommes on en parlerait plus et on serait quelque part et considérées et reconnues, etc. beaucoup plus que le fait d’être femme et aussi le faite d’être Africaine. C’est aussi une touche d’invisibilité. Comme si jamais il y avait en tout cas une petite peinture qui efface les gens et qui les rend invisible, être femme, être noire et vivre sur le continent. et même avoir été colonisé par la France (rires) tout ça ajoute à cette invisibilité. C’est pour ça que parmi les plus invisibles sont les femmes noires qui vivent sur le continent et qui vivent dans les pays qui ont été colonisés par la France.
Mariam: C’est une bonne transition pour parler du forum des féministes noires. Pour certaines participantes de l’Afrique Francophone, c’était un choque aussi d’être dans cet espace et de voir toute cette variété de peau noire mais aussi et de voir aussi de voir la réalité que les gens sont opprimés à cause de leur couleur et aussi de cette identité noire, politique noire, est-ce que tout le monde a la même compréhension ; ou si tout le monde s’identifie de la même façon, parce que être noire entant que Africaine. Si je donne mon cas c’est quand je suis arrivée en France que je me suis rendue compte de cette identité noire. Quand j’étais en Afrique, au Burkina je ne m’identifiais pas en tant que personne noire, mais plus Burkinabé, plus par mon ethnie, etc. C’est quand je suis arrivée en France que par la réaction des autres que j’ai commencé à épouser cette identité noire. Être dans un espace comme ça où on parle des féministes noires. Pour vous, quelle conversation vous auriez souhaité avoir déjà sur la définition et sur cette identité avant même de rentrer dans le vif du sujet?
Coumba: Comme toi je viens de cette zone de l’Afrique de l’ouest, où dans ma langue maternelle pour dire être humaine on dit être noir. Donc Mongonifin, c’est l’être humain et c’est la personne noire. Donc pour nous, l’humain est noir au départ, Tout simplement. Bien sûr on a été en contact avec d’autres races qui sont venues qui nous ont colonisé, etc. et tout. Mais, fondamentalement, nous avons toujours été élevé.es avec la compréhension que être noire c’est ça la norme. Malgré cas même qu’il y ait une certaine, de plus en plus cette mentalité ou les gens associent le fait d’être blanc ou de parler la langue des blancs, etc. à être riche, à être belle, qui fait que particulièrement dans certaines communautés plus citadines, j’allais dire, plus ouvertes vers l’extérieur les gens vont se blanchir la peau et faire des choses, etc. pour ressembler au blancs. Mais ça, ce n'est pas notre situation normale et naturelle de départ. Ma conscience d’être noire aussi je l’ai eu très tôt, aussi tôt que la consciente d’être féministe. Je ne sais pas trop comment parce que je vivais cas même dans une communauté qui était majoritaire noire pas trop en contact avec ce qui était blanc. Mais j’ai eu toujours cette conscience d’être Africaine. Peut-être que c’était lié à la langue, au faite que j’avais ma langue maternelle et bien que j’apprenne le français à l’école, etc. je savais qu’il y avait quelque choses qui nous appartenait en tant que noires et des façons d’être qui nous étaient propres même si ce n’étaient pas toujours respectées. Ma conscientisation autour de la question noire était aussi liée au travail dans lequel je me suis engagée très tôt, avec l’institut pour l’éducation populaire au Mali. Et très tôt avant même de finir l’université ou pendant je finissais juste le lycée, j’étais beaucoup dans l’organisation des jeunes, des camps des jeunes et à l’institut pour l’éducation populaires on se posait déjà ces questions; toutes des questions autour du genre, toutes des questions autour de la race, toutes les questions autour de challenger les modèles de développement, comment c'est entrain de se passer. Toutes ces questions sont des choses auxquelles j’ai été exposée très, très tôt. Il y a 20 ans mon premier voyage aux Etats-Unis aussi m’a amené au cœur de la communauté noire aux Etats Unis. J’ai quitté Bamako pour aller aux Etats Unis non pas pour aller à New York ou Los Angeles mais pour aller à Selma dans l’Alabama. Donc d’avoir fait le tour à Alabama, Mississippi, Les Carolines du nord et du sud, la Louisiane, Georgie, d’avoir visiter les églises, les universités, les coopératives paysannes, etc. etc et les milieux culturels et d’avoir été directement en contact avec des gens qui étaient parmi ceux qui ont combattu durant les mouvements des droits civiques. A Selma régulièrement, chaque année en son temps j’ai rencontré beaucoup de gens qui ont marché et organisé les marches avec Martin Luther King, des gens qui ont invité Martin à Salma, Amelia Bolton et toutes ces personnes-là et d’avoir été en contact avec les Bob Moses, qui était dans le Mississippi Freedom Struggle. Toutes ces personnes m’ont permis très très tôt d’avoir cette conscience noire. D’ailleurs le voyage que nous avons fait avec l’institut pour l'éducation populaire il y a 20 ans avait pour but spécifiquement de comprendre l’identité africaine hors de l’Afrique. Il y a d’autres africains qui vivent hors de l’Afrique et quelle est leur vie et leur perception? Et pendant des années nous avons fait des échanges, nous avons amené des jeunes, des vieux, des des académiques, des artistes de l’Afrique de l’ouest au sud des Etats Unis et du sud des Etats Unis vers en Afrique de l’ouest. Ça a contribué a vraiment forgé cette connaissance de cette identité noire. J’ai compris avec ces mouvements là et ce travail là qu’il avait une très profonde cassure entre les Africains. Ce qu’on doit réaliser c’est que au moment de l’esclavage, quand les gens ont été pris, kidnappé et vendus, etc., ils sont partis et jusqu’à aujourd’hui il n’y a encore eu personne qui est revenue dans les communautés d’où les gens avaient été pris pour leur dire qu’est-ce qui s’est passé. Les gens ne réalisent pas ça. Ce que les gens connaissent de l’esclavage, c’est général on va en entendre parler, oui il y a eu l’esclavage il y a tant d’année. Mais ceux qui vont connaître les détails sont des gens qui se spécialisent dans un domaine d’histoire, etc. Mais les personnes régulières de tous les jours que tu vas rencontrer, ils n’ont aucune idée de la réalité de la vie des Africains hors de l’Afrique, historiquement. Qu’est-ce qui s’est passé, personne ne sait. C’est encore ceux qui ont regardé quelques films et il y a eu au moins, pendant quelque temps le film de l’adaptation de Alex Haley qui a réveillé un peu les gens pour qu’ils aient même une toute petite fenêtre, sinon c’est complètement fermé. L’exemple le plus frappant que j’ai eu dans ces années d’échanges, c’était d’arrivée dans un village à Siratiti qui est vraiment très loin hors de Djenné avec nos ami.es Afro-américain.es et en visite, juste présenter en disant, voilà ça ceux sont nos ami.es ils viennent des Etats Unis et ceux sont des descendants des personnes qui ont été mis en esclavage là-bas. Donc des gens qui avaient été pris ici et qui sont partis. D’avoir la réaction des gens de ce village y compris une personne assez âgée qui était dépassée. Il nous a dit “mais vous voulez dire qu’il y a eu parmi des gens qu’on a pris en esclavage, il y en a eu qui ont survécu jusqu’avoir des enfants là-bas?” Cette non connaissance de ce qui s’est passé. C’est-à-dire, ils sont partis mais ils ont disparu, tout simplement. C’est des gens qui ont disparu. On a pas fait le deuil, il y a pas comprendre et de savoir qu’est-ce qui leur est vraiment arrivé et toute la lutte qu’ils ont fait là-bas pour se défaire de l’esclavage, on ne sait pas et toute la souffrance qu’il ont eu jusqu'à la ségrégation, comment ils se sont battus pour change ça. Tout ça, il n’y a personne qui est allé dans les terres pour dire ça aux gens. Comment on est supposé savoir et donc ce n’est pas étonnant comme le groupe qui est allé dire, les féministes colonisées par la France soit si choquées. C'est la même histoire qui continue. C’est cette cassure, cette ignorance totale de la vie des Africain.es hors de l’Afrique. Quelle est leur vie, qu’est-ce qui leur est arrivé? Quelles sont leur bataille? Comment ils sont traités? Etc. On ne connait rien. Mais cette ignorance va dans l’autre sens. C’est la même ignorance pour moi d’avoir travaillé aussi, d’avoir fait ces échanges pendant 20 ans m’a appris tellement de choses. Je faisais des petits exercices avec des jeunes dans des écoles à Mississippi et/ou à Salma. Je leur disais qu’on a des bourses pour amener des jeunes comme vous pour faire partie de l’échange mais je veux que chacun de vous me décrive ce qu’il va mettre dans sa valise pour amener au Mali. C’est assez drôle, ce que les gens vont te décrire qu’ils vont mettre dans la valise pour partir; il y a même de l’eau à boire, à manger, les poulets. Je les ai regardés et j’ai dit mais, si vous voulez aller pour un mois ou deux mois, tout ce que tu dois boire comme eau pendant un mois ne peut pas tenir dans ta valise. Juste de les amener à réfléchir à ce qu'ils imaginent est en Afrique. Qu’est-ce qu’ils imaginent. Cette image des gens sauvages, nus, barbares, à la limite anthropophage est encore présente. Des gens qui n’ont pas évolué et quelque part, même, des fois nos ami.es africain.es de la diaspora qui vivent aux Etats Unis et ailleurs dans les Amériques et même ceux qui ont appris un peu, sont plus ouverts d’esprit, etc., trainent quelque fois des stéréotypes et des assomptions par rapport à nous. Quelque fois même, j’ai rencontré de la colère, de la rancœur. Oui, “c’est vous qui nous avez vendu!” Je me dis que sur la question africaine, notre travail primordial c’est d’apprendre à nous connaître les uns les autres. Parce que tant qu’on ne se connait pas, on va être divisé.
Mariam: Mais bien sûr c’est ce que j’allais dire et c’était intentionnel, cette cassure. Elle a été faite de façon intentionnelle. Étant Africaine aux Etats Unis, j’entends dire, “on n’a pas la même réalité. Vous avez vécu colonisation et nous l’esclavage.” Mais qu’est-ce qui était à la base de ces deux évènements qui nous lient? On n’oublie ceci donc la tension qu’il y a entre les Américains-noirs et les Africains qui sont en Amérique. “Vous venez maintenant profiter des résultats de la lutte que nous avons mené.” C’est intentionnel cette division et on le transporte partout de génération en génération parce que justement, ça fait peur, ce que nous avions essayé de constituer ici, ce black power!
Coumba: C’est vrai quand on apprend à se connaître les barrières tombent. Parce que ce qu’on comprend au fond, dès qu’on creuse un peu et qu’on gratte un peu la surface, on est vraiment le même peuple d’abord avec les mêmes propositions, positives, humanistes, le même besoin de lien et la même offre d’hospitalité. Nous sommes les mêmes. Nous sommes aussi les mêmes avec les mêmes blessures, les mêmes insultes qu’on nous a faites et les mêmes exploitations et c’est la même chose. En fait quand on est positionné d’un côté on pense que l’autre a eu mieux. Par exemple, quand on est positionné sur le continent Africain et qu’on ne connait pas qu’est-ce qui s’est passé durant la traversée de l’esclavage, qu’est-ce qui s’est passé quand les gens sont arrivés sur les terres Américaines, qu’est-ce qui s’est passé sur toutes générations là, toutes ces exactions, les tortures, les choses innommables. Parce que vraiment, Il y a des histoires que nous n'avions pas entendu de ce qui est arrivé à nos frères et sœurs africain.es quand ils/elles sont parti.es. Ils ont été traités comme des animaux et ils les ont été traités pures que les animaux. Puisque nous ne connaissons pas cela, nous ne comprenons pas ce qui leur est arrivé. Aujourd’hui, les gens vont regarder de l’Afrique, de loin, en se disant, "moi je veux tellement immigrer en Amérique, ces noirs Américains ils sont déjà nés là-bas mais quel est leur problème? Pourquoi ils ne réussissent pas? Pourquoi ils ne gagnent pas? Pourquoi ils ne sont pas riches? Pourquoi ils n’ont pas tout?!” Alors que, ils ne connaissent pas le traumatisme qu’ils ont subi de génération en génération non seulement dans le passé et même dans le présent. Comment on les traite, comment on les regarde de travers, comment on les minimise, comment on les considère comme une caste inférieure, comment aussi ils ont résisté, comment ils se sont battus, comment tout ce qu’ils ont eu, ils les ont eu avec leur sueur et leur sang. Rien ne leur a été donné. Mais ça on ne connaît pas si on est positionné de l’autre côté, on ne connaît ni l’histoire, ni ce qui s’est passé dans le passé ni le présent. Dans l’autre sens aussi c’est la même chose. Les Afro-américains vont nous regarder de loin, ils vont dire, ils ont leur langues, leur terres, ils ont tout, ils n’ont pas été vendu en esclave, ils n’ont pas connu les exactions que nous avons connu, et regarde les, les types de leaders qu’ils ont et qui volent leur argent, qui font n’importe quoi. Ils ne connaissent pas, ce que nous, nous avons vécu sur le continent qui est totalement comparable à l’esclavage parce que les gens ont fait les travaux forcés sur le continent et l’extraction de nos ressources et tous les modèles de nos pays, comment l’économie a été conçue et battue pour extraire les riches et amener ça vers l’Europe, vers les autres pays. Et, ils ne rendent pas compte que de façon historique nous avons été torturés, nous avons été poussé jusqu’au bout. Tout ce qui pouvait être fait pour mettre notre exploitation a été fait. Et que nous aussi avons, nous portons ce traumatisme, nous portons ce problème, non seulement par rapport à l’histoire et par rapport aux générations mais encore aujourd’hui, aujourd’hui pendant qu’on est entrain de parler, l’exploitation continue. Aujourd’hui pendant qu’on est entrain de parler, nous n’avons pas le contrôle sur nos richesses, sur nos vies, sur le contenu de l’éducation de nos enfants et sur tant de choses. Donc, si quelqu’un nous regarde de loin, il se dit, “mais, ce n’est pas possible. Qu’est-ce qu’ils attendent pour décoller, qu’est-ce qu'ils font pour ne pas avancer?” C’est parce qu’ils ne connaissent ni notre histoire ni notre présent. Et donc, le grand travail est de se connaître les uns et les autres; comme ça, on peut se respecter, on peut s’aimer mais surtout, on peut développer des modèles de résistance ensemble. On peut s’entraider pour se protéger, on peut se donner des refuges, etc., etc. Pour moi c’est ça le cœur de la lutte noire. Vraiment mon plaisir d’être ici au forum, au Black Feminists Forum (le forum des féministes noires) c’était ça.
Mariam: C’est vrai pour moi, essentiellement c’était la première fois, c’est une première fois, comme on le fait à l'africaine, je dirais, on s’assoie et on discute, et on apprend à se connaître. Pour les prochains forum maintenant, quels sont les outils qu’on peut développer? L’essentiel de se rencontrer, et de se dire quand on se voit et de se dire, "Ah! toi aussi tu t’identifies comme noire?”, les gens sont choqués et ça c’est déjà un très très grand pas.
Coumba: Se connaître est le premier pas et c’est ce que ce forum nous offre, l’opportunité de nous connaître et de nous reconnaître, les uns et les autres. J’étais assise dans cette salle et quelque chose me disait que si je pouvais, chaque personne qui est ici, si je pouvais savoir qui elle est, ce qu’elle pense, ce qu’elle fait, quelle est sa vie, parce c’est ça le début, même de pouvoir organiser quelque chose ensembles.
Mariam: Absolument, on est des individus, des êtres humains derrière les activistes. Connaître la personne à titre individuel. Pour finir, quel futur? Quel futur pour ce qu’on vient de commencer ensemble mais aussi pour les jeunes féministes africaines dans notre région qui émergent. Quel est votre souhait, votre vision?
Coumba: Le futur pour moi, hmmm. Ce n’est pas simple hein. Parce que vraiment nous sommes dans un présent qui de plus en plus restreint les libertés. Nous faisons face à plusieurs modèles de fondamentalismes; que ce soit les fondamentalismes religieux, des religions révélées, le judaïsmes, le christianisme ou l’islam, toutes il y a une montée de fondamentaliste dans les différentes religions. Le fondamentalisme économique, le modèle capitaliste, celui-là il a déjà entouré la terre. On peut dire au moins pour le fondamentalisme religieux c’est encore naissant et c’est dans certains endroits pas d’autres. Mais pour le fondamentalisme, le modèle économique capitaliste a été déclaré comme le modèle mondial au point où si on le critique un peu ou si on le défi on est marginalisé et considéré comme quelqu’un de pas raisonnable. Nous faisons face aussi à une cristallisation des modèles étatiques. En tout cas, tout ce qui est barrière, frontière, limite se durcit. Et à cela s’ajoute la question inévitable de comment nous vivons avec notre environnement. Et en tant que humain il semble qu’on a vraiment la plus grande guerre qu’on a déclenché, est une guerre contre la nature. Et c’est une guerre vraiment féroce. Donc, quand je pense au futur, je pense à toutes ces choses en même temps et ma grande question est qu’est-ce que nous pouvons apprendre à nos enfants, à nos jeunes frères et sœurs, à freiner un peu cette course folle et suicidaire. Est-ce qu’il est possible dans nos mouvements féministes d’intégrer la question même de la survie de notre espèce. Et je me dis que à la fois que c’est le grand danger et c’est la grande porte ouverte parce qu'en tant que femmes, en tant que féministes, nous sommes peut être parmi celles qui peuvent encore réveiller le reste du monde. En tant que Africaines parce que nous avons assez d’éléments qui viennent de différentes parties de ce que nous sommes et qui peuvent nous aider à proposer des alternatives. Parce que, si les gens disent, si vous êtes contre le système capitaliste, donc nous allons faire quoi? Nous pouvons leur dire que nous avons vécu des millénaires de civilisations sans système capitaliste où ça a pu marché. Quand les gens vont dire, “Oh mais, qu’est-ce qu’on va faire sans ces modèles de religions, etc.?”. Nous pouvons dire, mais il existe des modèles de spiritualité alternatifs. Donc, je pense que nous avons beaucoup à offrir au monde et nous devons créer de nouvelles choses basées sur les anciennes qui avaient marché. Donc je vois un future où peut être des choses qu’on avait considéré comme un peu vieillot, des plantes qu’on ne mangeait plus parce qu’on s’est mis à un autre régime alimentaire, des façons d’être avec les autres qu’on a presque éliminé ou oublié. Maintenant je pense que c’est ça qu’on va replanter dans le futur et ça me donne beaucoup d’espoir. Je ne sais pas s’il y a un réel futur pour l’humanité, mais je sais que s’il y a un, il sera sur des soubassements féministes Africains.
Mariam: Merci.