On ne montre que la Mauritanie arabe et blanche

Dieynaba Ndiom

1 Juin, 2023

Il faut savoir que le mouvement féministe en Mauritanie, est l’un des rares mouvements qui reunie toutes les communautés sociolinguistiques. C’est pratiquement l’une des rares choses où vous vous rendez compte que dans une association féministe, vous pouvez trouver des pulaars, des wolofs, des soninkés et des hassania ou des maures. C’est très rare!


Dieynaba Ndiom est une sociologue, féministe et femme politique qui est active dans plusieurs réseaux en Afrique Occidentale sur les questions concernant les femmes.

Féministe

Transcription

Mariam Sako: Bonjour Dieynaba. Merci d’accorder du temps à Kan-Tigui. Nous commençons toujours par une petite introduction, donc si tu pouvais te présenter. Qui est Dieynaba Ndiom, la personne et l’activiste si on peut séparer les deux. 

Dieynaba Ndiom: Merci pour l’invitation surtout. C’est un plaisir. Je vais me soumettre à vos questions sans aucun problème. Maintenant pour me présenter je suis rarement à l’aise avec mais je vais cas même essayer. Je m'appelle Dieynaba Ndiom. Je suis issue d’une famille Mauritanienne. Je suis née ici en Mauritanie, particulièrement à Nouakchott et j’ai grandi ici à Nouakchott. C’est ici que j’ai fait mes pratiquement toutes mes études jusqu’au master II. Je suis issue d’une famille très modeste de sept enfants et je suis la deuxième de la famille. Voilà. 

Sinon, je me présente aussi comme etant une féministe Mauritanienne et je suis très active dans le milieu associatif Mauritanien surtout sur toutes les questions militantes par rapport au féminisme mais aussi par rapport aux droits des noir.es en Mauritanie. Je suis aussi active sur ce qu’on appelle ici, la discrimination linguistique qu’on aura également l’occasion d’en parler

Mariam: Merci. Je me rappelle que quand on a eu notre conversation sur WhatsApp, tu disais que c’était pas évident pour toi de parler de ton cheminement vers le féminisme. Je me demande si néanmoins, tu peux nous parler de comment tu es arrivée, progressivement ou soudainement, à t’identifier comme étant féministe. 

Dieynaba: Pour moi c’est difficile de dire que c’est à tel moment, à telle heure ou à tel événement que ça c’est passé. Je pense toujours que c’est de manière très progressive et aussi la société fait que quand on est une fille, plus on grandit, plus on se rend compte des cercles de discriminations dont on est plus ou moins victime et qui d’une manière ou d’une autre, forge aussi notre personnalité. Je pense que la personnalité que ça a forgé en moi c’est d’être une personnalité, ce qu’on appelle ici, rebelle, ou révoltée. Parce que qui remet en cause un peu les normes sociales, qui remet en cause par exemple, tout ce qui dit, “voilà c’est ça la voie de quoi doit être une fille; de quoi doit ressembler une femme - mariée” et ainsi de suite, forcément quand vous remettez ces normes établies en cause, on vous taxe tout de suite d’être une personne rebelle, d’être une révoltée. Moi, plus ou moins quand je grandissais, c’est même devenu une revendication politique! En Mauritanie et en Afrique de manière générale, être féministe, on vous taxe de tous les noms d’oiseaux donc pour moi, c’est une revendication politique de se dire féministe parce que on voit des femmes, qui pourtant ont toutes ces valeurs féministes, qui se battent sur tous fronts par rapports à ces questions-là, mais qui n’osent pas se revendiquer féministes parce que tout simplement, c’est aussi se soumettre à des repressions, se soumettre à des violences verbales, c’est se soumettre à des contradictions et à pleine de choses. Donc pour moi, le simple fait que certaines n’ont pas le courage de se dire féministe parce c’est même dangereux des fois de se dire féministe dans des milieux aussi austères, moi je trouve que c’est une revendication politique. Parce que justement, tout le monde dit c’est pas bon, que c’est pas le chemin, moi je dis voilà, “je me reconnais sous cette démarche. Je me reconnais sous cette appellation. Je me reconnais sous cette manière de faire.” Pour moi c’est une revendication politique. C’est avoir le courage d'assumer ses idées. C’est avoir le courage de tout simplement d’assumer ses valeurs féministes. Voilà. 

Mariam: Restons un peu sur ici si possible pour parler, notamment du fait d’être une féministe noire, une femme et une activiste en Mauritanie. De porter cet acte politique, d'endosser cet acte politique en Mauritanie. Tu disais que c’est même dangereux des fois de se dire féministe publiquement en Mauritanie. J’aimerai qu’on reste sur ce sujet et dans la mesure du possible, parler des enjeux de la société mauritanienne qui alimentent ton engagement politique. 

Dieynaba: Peut-être avant de venir sur le pourquoi il est un peu dangereux de se dire féministe en Mauritanie, il faut peut-être, pour ceux et celles qui ne connaissent pas la Mauritanie, de faire un petit point sur la structuration sociale, comment est la Mauritanie d’une manière générale. 

Alors, la Mauritanie est déjà un pays assez complexe. C’est un pays qui est à la fois dans le maghreb et l’Afrique de l’Ouest mais qui est très peu connu surtout sa population. Pour quelqu’un comme moi qui a beaucoup voyagé, à chaque fois que je sors de la Mauritanie, je me rends compte comment les gens ne connaissent pas la Mauritanie. Parce que le simple fait, par exemple, de me présenter comme étant une Mauritanienne, des fois ça étonne beaucoup de personnes. Parce que tout simplement, pour la plupart des personnes, le Mauritanien, c’est peut-être le Maure blanc ou la femme Mauresque blanche. Beaucoup ne savent pas que la plus grande, la majeure partie de la population, elle est noire!  

Je comprends par cela que c’est l’État, ce système qui nous gouverne a réussi quelque part sa politique de manière générale, à travers sa diplomatie, à travers ses médias, à travers ses sorties et à travers beaucoup de choses, à ne montrer que la Mauritanie arabe et blanche! Donc on nomme qu’en Mauritanie, il y a des peulhs qui sont noir.es; il y a des Soninkés qui sont noir.es; il y a des Wolofs qui son noir.es. On nomme qu’en Mauritanie, il y aussi une grande partie de ce qu’on appelle aujourd’hui les Maures, les gens revendiquent plutôt ce nom, les Radiques, c’est aussi les personnes qui parlent la même langue que les Maures blancs mais c’est une population, une communauté, noire. 

Donc, cette mixité, cet ensemble fait que la Mauritanie n’est pas que blanche, elle n’est pas que arabe. Elle est pluriculturelle. Elle a quatre, voir cinq langues qui sont pratiquées ici parce qu’il y avait aussi une communauté Bambara mais à travers ce système Mauritanien qui perdure depuis les années 1958 jusqu’à présent, depuis l'indépendance, même bien avant l’indépendance, on a voulu que la Mauritanie blanche, que la Mauritanie maure, que la Mauritanie arabe, en omettant, en reléguant, ou en rémettant de côté, toutes les autres composantes de ce pays. Ce qui fait que les gens ne connaissent pas beaucoup ce pays. 

L’autre chose aussi, c’est que c’est un pays, encore aujourd’hui en 2023, où on parle beaucoup de racisme et on parle énormement aussi d’esclavage. Des choses qui remontent à des années lumière. Aujourd’hui encore, il y a des gens qui sont en situation d’esclavage! Et le racisme en Mauritanie, c’est pas que ordinaire. C’est systémique. C’est une politique que l'État a mis en place. C’est une politique de discrimination qui favorise une communauté au dépend de telle autre communauté et qui fait tous les jours, par des voies et moyens, à travers des lois sur le système d’appopriation des terres agricoles et à travers tout un système et un mecanisme juridique, fait que le racisme est systémique et très assumé de la part du gouvernement mauritanien, qui jusqu’aujourdh’ui, prend une seule communauté au dessus des autres communautés et les reste sont relegués au second plan. Et les restes ne sont même pas reconnus et je le dis souvent et de manière très ouverte, que la première chose qui discrimine les noir.es Mauritanien.nes c’est la Constitution mauritanienne. Quand la Constitution mauritanienne dit dans son Article 6 par exemple, que les langues nationales sont le pulaar, le wolof, le soninké et l’arabe et revient dans ce même article pour dire que mais, la seule langue officielle, c’est l’arabe, que c’est la seule langue reconnue, enseignée, alors qu’on sait que nous avons quatre communautés sociolinguistiques. Donc, c’est un ensemble de choses qui font que la Mauritanie est complexe. Quand on parle d’exclavage en 2023, il y a des gens qui n’en reviennent pas! Quand on parle de racisme, au point que ça soit systémique, je pense que les gens, le seul exemple dont ils se souviennent peut-être aujourd’hui, c’est celui de l’Afrique du Sud; ils sont loin de s’imaginer qu’il y a aussi du racisme en Mauritanie. C’est un racisme très sournois et fait de telle sorte que les gens ne se rendent même pas compte qu’on est dans une situation de discrimination. Sans compter qu’il y a un million d'exemples. 

On peut prendre par exemple de la situation de l'enrôlement biométrique en Mauritanie. Des mouvements ont été formés pour dénoncer le caractère raciste de ces enrôlements. L’objectif de ces enrôlements était de recenser tous/toutes les mauritanien.nes et on s’est rendu compte qu’il y a des mauritanien.nes qui ont plus de facilité à s'enrôler particulièrement les arabes, maures blancs. Il y a d’autres mauritanien.nes, les pulaars, les soninkés, les peulhs, qui ont toutes les difficultés du monde pour s’enrôler et cela jusqu'à aujourd'hui. Aujourd’hui, là où je vous parle (Mai 2023), nous sommes dans le mois des élections législatives, communales et régionales mais il y a encore des mauritanie.nes qui n’ont même pas les papiers pour pouvoir voter parce que tout simplement, ils sont apartriés dans leur propre pays. Pour voter, il faut d’avoir s’enrôler avant d’avoir la possibilité de voter. 

Être noir.e en Mauritanie, c’est déjà tout à fait compliqué et aussi danger que ça puisse l’être. Mais, être noire en Mauritanie, être femme, c’est encore un autre circle de discrimination parce que on sait que dans notre système sociale et patriarcal, être femme c’est être au bas de l’echelle. Mais être femme, être noire et en plus de ça être féministe, ça fais cas même trop de choses pour une seule personne (rires). Ce qui forcément, plus ou moins, nous rend vulnérable. Donc voilà! 


Mariam: Merci vraiment beaucoup. Toujours en restant un peu sur la question des noir.es, tu as parlé de la question de la déportation. La déportation des Mauritanien.nes noir.es vers le Sénégal…

Dieynaba: Et le Mali aussi. 

Mariam: Peux-tu nous parler brièvement de ceci et aussi de la question de la langue parce que c’est une question très cruciale. 

Dieynaba: Alors, pour les déportations, ce sont des choses qui se sont passées en 89 mais ce que les gens ne savent pas, c’est qu'avant 89, il y a eu 86, il y a eu 87! 86 c’est le moment où il y a eu un mouvement qui s’appelait le FLAM (Force de Libération Africaine) qui a produit un manifeste, qu’il a appélé le Manifeste du Noir Mauritanien Opprimé. Et dans ce manifeste, il était clairement écrit que les noir.es mauritanien.nes sont discriminé.es. Ce sont ces gens-là qui ont été arrêtés en 86. 

Pour ceux/celles qui ne savent pas, en Mauritanie, il y a eu plus de coups d'État que de scrutin électoral pour élire des présidents (Rires). Donc coup d’État, c’est vraiment la valeur la mieux partagée ici en Mauritanie. Mais, il y a eu des tentatives de pouvoir qui ont été arrêtés. Et par la même occasion, ils ont pu prendre plus de 500 militaires, des mauritaniens noirs, qu’ils ont enlevés de leur fonction, puis ce sont des gens qui ont été soit arrêtés, soit torturés, soit tués!

Puis il y a eu les événements de 89. L’alibi a été de dire que c’était un soulèvement Sénégalo-Mauritanien hors c’était pas du tout le cas! C’était avant tout un événement mauritanien parce que l’État en a profité pour prendre des noir.es mauritanien.nes, les déporté.es au Sénégal, soit disant que ce sont des Sénégalais. Alors que ce sont des noir.es. Des noir.es fonctionnaires qui étaient, soit des gens qui enseignaient, des médecins, des enseignant.es qui étaient même dans la fonction publique Mauritanienne qui ont été déporté.es. Soit au Sénégal, soit au Mali. Donc, il y a des milliers et des milliers qui sont encore aujourd’hui au Sénégal et au Mali qui n’ont toujours pas pu rejoindre leur terre. Leurs biens ont été pris, ils ont été enlevés de leur fonction. Ce sont ces gens aujourd’hui qu’on appelle les apatrides parce que ce sont des gens qui ne sont ni mauritaniens, ni sénégalais, ni maliens parce qu’ils n’ont pas de papier dans les pays où sont. Ils sont toujours des déportés de 89 jusqu’à aujourd’hui. Et, c’est des gens qui n’ont pas aussi des papiers mauritaniens et qui vivent au Sénégal. Qui sont des noirs mauritaniens, qui sont des peulhs, des soninkés et des wolofs et surtout, qui sont des dévalorisés de l’État parce qu’ils étaient tous des fonctionnaires de l’État. 

Tout simplement, c’est une politique qu’ils ont mis en place pour remplacer toutes ces personnes, donc déporter les uns et prendre leur terre, leur maison, les donnés à d’autres personnes, d’autres communautés mauritaniennes qui étaient là. 

Mariam: Et brièvement sur la question linguistique. 

Dieynaba: Alors, je reviens sur la question linguistique. Comme je l’avais dit, en Mauritanie, la première chose qui discrimine c’est la Constitution mauritanienne, parce que dans son Article 6, il est dit que les langues nationales sont le pulaar, le soninké, le wolof et l’arabe. Mais qui dit également, que la langue officielle c’est l’arabe. Donc c’est la première discrimination linguistique. On sait aussi que depuis les indépendances, la Mauritanie a tout fait pour enlever le français et le remplacer par l’arabe. Nous par exemple, des personnes comme moi, ne disent pas que le français doit rester ou partir, mais disent que les autres langues, le pulaar, le soninké, le wolof, doivent être reconnues au même titre que l’arabe. Par exemple, si moi je suis noire mauritanienne, wolof, peulh ou soninké et que je vis avec un autre qui est arabe et que tous les deux, nous sommes des mauritanien.nes mais que lui, sa langue est reconnue comme étant la langue nationale, la langue officielle, la langue d’éducation, alors que la mienne n’est pas reconnue comme telle, c’est déjà une discrimination. Tout en sachant que tout ce qu’on dit sur une personne qui commence à apprendre les connaissances par sa langue. C’est un plus!  C’est quelqu’un qui a plus de chance de pouvoir comprendre, plus de chance de pouvoir réussir parce qu’on apprend dans sa langue. 

C’est ce qui se passe aujourd’hui en Mauritanie. On a pris la langue arabe, qui est une des langues des communautés mauritaniennes et on a mis ça au-dessus des autres langues. Et comme si ça ne suffisait pas, il fallait avoir une loi qui va venir réconforter toutes ces choses-là. Donc en 2022, ils ont proposé un projet de loi d’orientation du système éducatif mauritanien qui, un peu, réconforte tout ce qui se fait ou se dit ici. Où on dit que la langue arabe est la langue d’enseignement à tous les niveaux. Avant cette loi, l’éducation utilisait les deux langues, le français n’était pas encore complètement exclu, il était encore enseigné à l’école. Mais là, c’est une loi qui est là, qui vise à tout arabiser. Tout le système éducatif sera arabisé au détriment des autres langues qui sont là. Aujourd’hui il y a des mouvements, comme le mouvement OLAN (Organisation pour l’Officialisation des langues Nationales) qui demande que les autres langues nationales qui sont le pulaar, le soninké et le wolof, soient aussi officialisées. 

Mariam: C’est énormément d’enjeux! Je me demandais quels sont les enjeux que portent les féministes, le mouvement féministe de la Mauritanie. Parlant même des différences, comme tu disais, dans la complexité du pays, entre les féministes noires, les féministes arabes en Mauritanie, par exemple. Quels sont les enjeux communs, quels sont les enjeux que les gens, dans la majorité, ne veulent pas toucher! 

Dieynaba: Il faut savoir que le mouvement féministe en Mauritanie, est l’un des rares mouvements qui reunie toutes les communautés sociolinguistiques. C’est pratiquement l’une des rares choses où vous vous rendez compte que dans une association féministe, vous pouvez trouver des pulaars, des wolofs, des soninkés et des hassania ou des maures. C’est très rare! On le retrouve pratiquement que dans le mouvement féministe et même ça, même si on arrive à faire des choses, à défendre l’interêt commun des femmes mauritaniennes, on sait aussi pertinemment bien que on n’a pas la femme mauritanienne, on a des femmes mauritaniennes! Parce que la femme mauritanienne peulh ne vit pas les mêmes discriminations par exemple, que la femme mauritanienne radique qui est aujourd’hui dans une situation d’esclavage, qui est encore esclavagisée. De la même manière qu’on sait que la femme mauritanienne mauresque, n’est pas la même chose que la femme mauritanienne wolof, par exemple.  Donc, on arrive à vraiment voir qu’on a des femmes mauritaniennes avec des besoins très différents, de milieux socio-linguistiques très différents qui font que nos conditions de manière générale sont très différentes. 

Maintenant, pour les revendications, on a des choses qui sont très communes à toutes les communautés mauritaniennes. La manière de voir les femmes, l’infantilisation de la femme, comme un être plus ou moins inférieur, que c’est un être eternellement assisté, qu’il faut l’assister à tout. Ces choses-là sont partagées. De la même manière par exemple, le fait que le système juridique mauritanien, par exemple, ne protège pas réellement la femme parce qu’aujourd’hui, là où je te parle par exemple, il n’y a aucune loi qui definit le viol, aucune loi qui parle des violences basées sur le genre ou les violences faites aux filles. C’est toujours à l’appréciation du juge. Donc, ce qui fait que, puisque la loi ne définit pas ce que c’est que le viol, par exemple, une femme mauritanienne, si elle est violée, quelque soit sa situation, elle est toujours comfrontée à ce vide juridique qu’elle soit noire ou blanche. Vous voyez. Donc, il y a des choses communes à nous toutes et que nous essayons toutes à combattre.

Sur le vide juridique mauritanien, ça c’est un point qui est très commun et le plaidoyer est pratiquement porté par toutes les féministes mauritaniennes, les organisations des droits des femmes. De la même manière, il y a aussi, par exemple, un travail de plaidoyer qui a été fait bien avant nous, notre génération, pour qu’il y ait un quota de représentation sur les listes législatives. Aujourd’hui par exemple, on a réussi à avoir 20%; c’est très négligeable mais ça a permis d’imposer des femmes dans les listes, par exemple électives. Donc on a plusieurs choses en commun qui font que souvent, les mouvements féministes et les associations féministes, sont des mouvements où on a le plus de mixité, qui font que les femmes féministes arrivent à se reconnaître dans ces mouvements et travailler ensemble.

Mariam: Il y a beaucoup de choses sur lesquelles j'aimerais revenir mais restons sur la question des élections, justement. Si tu pouvais partager un peu avec nous les enjeux de ces élections. 

Dieynaba: La Mauritanie pour cette année, particulièrement ce mois en fait, il y a des élections législatives, communales et régionales qui s'annoncent. Donc, c’est aussi des partis politiques qui vont avoir leur liste, pour prétendre à des postes, que ce soit des député.es, maires ou des postes régionaux comme, par exemple, des conseils régionaux. Il faut savoir d’abord qu’en Mauritanie, on a aussi, pratiquement, 25 partis. C’était une centaine de partis. Je pense que l’État a mis en place une loi qui fait qu' un parti politique, quand il va deux fois aux élections et qu’il n’a pas plus de 1% il sera dissous. Pourquoi, parce que ce parti, quand il va une seule fois ou s’abstient de manière répétée ou boycotte des élections, il sera dissous. Donc ce qui fait qu’on a beaucoup de partis qui sont dissous et il ne reste que 25 partis. Et sur ces 25 partis, à part le parti au pouvoir qui est rattaché à la majorité présidentielle, les autre qui sont des partis de l’opposition, des partis très marginaux dans la mesure où ils ont peu de moyens pour pouvoir faire des choses dans un milieu qui est peu démocratique qui fait que les gens sont soit par-ci ou par-là. Donc, on a des partis qui sont religieux, qui prennent les sources de la religion, qui prônent des discours religieux. On a des partis qui sont pratiquement pro-arabe; qui sont là pour l’arabité de la Mauritanie entre autres. Et, on a aussi des partis Négro-mauritaniens entre guillements, qui sont des parties où se regroupent la plus part des noir.es mauritanien.nes qui veulent un changement. 

Donc moi, si je devais faire une première remarque avant même que les urnes ne parlent, parce que on sait aussi qu’il y a beaucoup de bourrage d’urnes, qu’il y a beaucoup de situations qui font que les élections mêmes, sa manière de se pratiquer en Mauritanie est problématique sans parler du découpage électoral qui font que dans les régions où on a le plus de noir.es, dans des régions plus peuplées que d’autres, on a moins de député.es qui representent que dans les régions moins peuplées ou des régions où la majorité est plus ou moins blanche. Ça aussi, ce sont des questions qui font que le découpage électoral lui-même est discriminatoire. C’est-à-dire que moi, ma voix, si je suis quelque part dans la vallée du fleuve, compte moins que la voix de quelqu’un qui est un peu dans le nord du pays, parce que tout simplement, dans ces communautés, ces villages de 60,000 personnes par exemple, a la double représentation alors que dans une autre partie, par exemple au sud, on trouve des villages, des régions qui ont plus de 100,000 habitant.es et qui n’ont aussi que deux représentations. Alors, entre 60,000 et 100,00 habitant.es, on sait très bien que normalement, si le découpage était correct, qui compte le plus de population devrait avoir le plus de représent.es au niveau de la députation. Mais cela n’est pas le cas, donc les jeux sont déjà faussés dès le départ. 

L'élément que je fais par rapport a ça aussi, c’est la représentation. J’y tiens beaucoup parce que tout simplement, quand on voit la liste des partis, que ça soit les partis de l’opposition, que ça soit les partis qui sont dans le pouvoir, on voit que les femmes sont sous-représentées on voit que les jeunes sont sous-représenté.es, à part la liste qui est uniquement dédié aux femmes qu’on appelle la liste des femmes, la liste récente qui est dédiée aux jeunes. Pratiquement dans toutes les autres listes, on voit toujours que celui qui est tête de fil, c’est toujours un homme de plus de cinquante ans. Quand on fait le cumul de toutes ces listes, on voit qu’on a très peu de jeunes, très peu de femmes. Voilà ce que je vois. 

Mariam: Merci, pour rester toujours sur la question de l’élection. Quels sont les enjeux qui mobilisent la population noire, également les femmes et les jeunes? Tu parlais dans l’introduction de la fierté de la langue, par exemple. Si ça sera possible de parler de ceci. Récemment, je regardais sur YouTube une rencontre organisé par la RADDHO (La Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme) en Mauritanie sur la question des veuves qui ont déposé une plainte contre la Mauritanie au CPI (Cour Internationale Pénale) sur les massacres des personnes noires qui se sont déroulés dans les années 80. Je me demandais donc quels sont les enjeux politiques de ces différentes populations pour ces élections. 

Dieynaba: Il y a plusieurs enjeux à plusieurs niveaux. Il y a plusieurs couches de choses. La première des choses par exemple pour les noir.es mauritanien.nes, qui trouvent que c’est un grand enjeu, voir même que c’est une provocation - le parti au pouvoir, a pris pour sa tête de liste mixte pour la députation, une personne qui s’apelle Général Ould Meguett. Le général Ould Meguett, qui était un ancien général de l’armée à la retraite qui aujourd’hui, pour certains, y compris les victimes les années 86, 87, 89, 90, jusqu’à 91 et 92, identifient cette personne comme étant un tortionnaire dans les prisons qu’on avait ici en Mauritanie. Donc, on a plusieurs témoignages, que ça soit dans les livres, que ça soit dans les films documentaires, qu’à travers des audios, ne serait que même hier, il y a un adjudant qui a témoigné que cette personne, qui aujourd’hui le parti au pouvoir a choisi pour être tête de liste, est un présumé tortionnaire. Donc les noir.es prennent ça comme étant de la provocation. Parce que on sait que l’épineuse question des événements n’a pas été réglée; les questions des déportations n’ont pas été réglées; la question de 1986 n’a pas été réglée; la question de 87 n’a pas été réglée. Tout ça c’est des séries d’événements qui se sont produits ici, où des personnes noires ont été arrêtées, ont été emprisonnées, ont été torturées, ont été tuées! Même si vous allez dans les références, vous allez remarquer par exemple, qu’un jour comme le 28 Novembre 1990, pour célébrer l'indépendance de la Mauritanie, des mauritaniens, issues de l’armée, ont pris 28 noirs mauritaniens et ils les ont pendus! Pour célébrer l’indépendance! Vous voyez, donc, des choses comme ça qui ont été faites, qui ne sont pas réglées. Des personnes qui ont été identifiées, parce que les victimes, que ça soit les victimes militaires, que ça soit les victimes civiles, que ça soit les veuves, que ça soit les orphelins, ont établis des listes des personnes qui sont clairement identifiées par les rescapés, comme étant des personnes qui ont torturé, qui ont tué, des civiles et des militaires. 

Donc, si l’État mauritanien prend quelqu’un qui est un présumé tortionnaire identifié par les victimes, et dans tous les témoignages qui ont été faits cette personne a été identifiée, pour certain.es, c’est de la provocation. Donc, les gens appellent à boycotter cette liste du pouvoir, cette liste du parti de INSAF qui sera présidé par un présumé tortionnaire. Donc ça, c’est un enjeu. 

L’autre enjeu c’est que les gens de l’opposition voudraient avoir la majorité pour faire annuler par exemple, certaines lois qui sont déjà passées au niveau de l’assemblée. On se rappelle de la loi de 93, qui est une loi qui amnistie, je dis bien amnistie, toutes les personnes impliquées dans les tueries, dans les déportations, dans les massacres des noir.es mauritanien.nes. Donc c’est une loi d’amnistie qui a été votée en 1993 et la seule manière de revoir cette loi et même de l’enlever en fait, c’est d’avoir une majorité au parlement. Et, récemment, en 2022, une autre loi a été proposée au niveau de l’Assemblée, c’est une loi qui vise à réviser tout le système éducatif mauritanien, à le arabiser totalement. Cette loi aussi a été votée à l’Assemblée dont la majorité est le parti au pouvoir; donc les lois, quand elles arrivent, passent comme une lettre à la poste. Donc, cette loi aussi, les gens jugent que c’est une loi discriminatoire. C’est une loi qui vise l’assimilation des autres populations mauritaniennes qui ne sont pas des arabes, qui sont des pulaars, des soninkés, des wolofs, et des bambaras. Cette loi a été récemment votée ici à l'Assemblée et les gens veulent revoir cette loi. Donc l’opposition est entrain de faire son maximum possible pour pouvoir avoir la majorité et revoir ces lois et aller dans une majorité beaucoup plus confortable pour pouvoir contrôler la gestion de l’État à travers cette chambre. Donc voilà. 

Et aussi, il y a d’autres enjeux comme par exemple, certaines contrées, comme pour les municipales où les gens veulent avoir encore, le contrôle de leur localité à travers les maires qu’ils élisent en fait de manière très democratique au lieu que ça soit des gens qui sont parachutés par le parti au pouvoir et qui sont là pour faire tout pour asseoir en fait le système de discrimination, d’esclavage. Le grand problème souvent aussi, c’est que ce sont des fois des noir.es, une poignée de noirs en Mauritanie qui sont des priviligieux du système qui font en fait tout pour que ce système reste, qu’il perdure. Ce sont ces gens-là qui sont parachutés un peu partout dans nos contrées ou dans nos villages pour asseoir la politique de l’État. Voilà!

Et de la même manière aussi, on sait qu’il y a des questions qui ne sont pas portées par toutes. Par exemple, quand on parle du racisme, il y a peu de féministes qui s’expriment sur le racisme en Mauritanie. On sait que les féministes noires, ce sont des questions qu’elles portent, qu’elles défendent, qu’elles s’engagent dans pleins de mouvements, même différents sur ces questions. Mais, par exemple, pour les féministes arabo-berbères par exemple, on les entend moins sur ces questions. À peine une ou deux personnes qu’on peut identifier qui s’expriment sur la question du racisme. Pour la grande majorité, c’est une question qu’elles portent! Donc, pour nous, c’est déjà un point de démarcation entre les féministes. De la même manière que quand certaines féministes parlent de la politique mauritanienne, de ses politiques discriminatoires, de ses politiques qui privilégient certaines communautés par rapport à d’autres, ainsi de suite, on entend de moins en moins la voix des féministes arabo-berbères. Voilà, ce qui fait que si même on a des points en commun, il y a des points que nous n’abordons pas de la même manière. La question de l’esclavage, ce ne sont pas toutes les féministes arabo-berbères qui la porte; les noires sont plus aptent à la porter car c’est une question qui les concerne directement, même si ce n’est pas une question qui est toujours là au premier plan; mais, il y a des féministes qui sont plus sensibles à ces questions que d’autres. 

Plus on va loin dans le combat, plus on va loin dans les revendications, on voit qu’il y a des amies qui vous laissent en plein chemin parce que c’est pas des questions qu’elles portent ou qu’elles sont aptes à dire. Voilà ce qui fait aussi que les mouvements sont assez divers et assez complexes que le pays, tout simplement. 

Mariam: C’est intéressant. La solidarité a une limite. La sororité a une limite en fonction des questions nationales. En restant sur la question des enjeux des femmes, j’aimerai savoir par exemple, ce qui se passe dans notre sous-région, dans la zone Sahélienne, que ça soit la question migratoire, que ça soit la question du réchauffement climatique, que ça soit la question du terrorisme, j’aimerai savoir comment cela est ressentie en Mauritanie. La question migratoire, la question économique, les féministes en général en Afrique, jusqu’à présent, restent assez silencieuses sur ces questions là. Je voudrais avoir ton analyse sur ceci et comment est-ce-que cela se manifeste en Mauritanie en générale. 

Dieynaba: C’est vrai, le constat il est réel et ce n'est pas qu’en Mauritanie. Je pense que de manière général en Afrique de l’Ouest, les féministes sont plus sur les questions des droits, des questions de violences, des questions de bien-être de la femme, pas sur des questions à grandes échelles comme par exemple, des questions de l’économie, de la migration, entre autres. Ça, c’est un constat réel. C’est valable aussi pour les féministes mauritaniennes, qui travaillent beaucoup sur par exemple, la violence sexuelle, sur la legislature, mais en mettant moins de armes par exemple, sur la question migratoire, entre autre. Ça, c’est tout à fait vrai. 

Et pourtant, si on a une analyse plus ou moins objective, je prends l’exemple de l’économie. On sait que sur le plan économique, les femmes sont toujours les moins loties. Les femmes font partie des couches les plus vulnérables et même les plus pauvres en Mauritanie. Ici par exemple, les femmes n’ont pas accès à la terre alors qu'on sait que c’est une source de revenu, ce qui fait porter l’économie des gens qui vivent de l’agriculture. C’est vraiment la terre, l’agriculture. Ici, nos systèmes de titres de la terre font que les femmes n’ont pas réellement accès à la terre. C’est le nom de la famille qui t’attache à cette terre mais sur les faits, ce sont les hommes qui exploitent la terre, ce sont les hommes qui travaillent la terre et ce sont les hommes aussi qui ont le droit à ce que rapporte la terre. Et puisque c’est une question de biens et de propriétés, ce qui fait aussi qu’au niveau de l’accès à ces biens, ça nous rend plus ou moins vulnérables. 

Je donne un autre exemple, quand je vais à la banque pour faire un prêt, on va me demander des garanties et c’est quoi? C’est souvent des titres fonciers, des terres agricoles, des biens immobiliers, comme ça! Puisque nous, on a pas accès à la terre, on ne peut pas avoir ces garanties-ci car elles sont rarement à nos noms. Donc, ce qui fait que les femmes sont cantonnées à ce qu’on appelle les micro-crédits, qui, en réalité, endettent plus les femmes qu’ils ne les autonomisent pas financièrement. Ce qui fait que cet accès limité à la terre, à l’économie, les rend très vulnérables, les rend très dépendantes. Il fait qu’en fait, on est encore au bas de l’échelle de la pauvreté. 

C’est valable pour la question migratoire. Dans nos villages et dans nos banlieues par exemple, vous allez voir qu’il y a plus de femmes. Des vieilles femmes, des femmes et des enfants car tous les hommes sont partis dans les villes ou vers d’autres pays. Ils ont fait soit l’exode, soit ils sont dans d’autres pays en train de voir comment avoir un lendemain meilleur, se construire. Pendant ce temps, ce sont les femmes qui restent dans nos villages, dans nos banlieues. Ce sont elles qui vivent la sécheresse, ce sont elles qui vivent la situation de pauvreté, ce sont elles qui ressentent en fait cette aridité au vrai sens du terme. 

Donc ce sont des questions qui normalement devraient être portées par les féministes mais c’est très rare d’entendre ces questions traitées ou en tout cas revendiquées au premier plan par les féministes de l’Afrique de l’Ouest. Mais, les féministes ne sont toujours pas cantonnées sur des questions aussi existentielles que l’économie mais elles sont sur des questions de droits et autres. Mais je trouve que dans le meilleur des mondes, ce sont des questions que nous pourrons porter sans distinction et prioritisation. 

Mariam: C’est un point très important pour moi. À travers le podcast justement, c’est un espace aussi de promouvoir et même de provoquer la pensée critique des féministes surtout dans notre zone francophone. En t’écoutant, bien sûr il y a la question des financements, les femmes sont instrumentalisées, les féministes sont instrumentalisées à porter les enjeux des bailleurs de fonds plus que à vraiment travailler avec les femmes pour trouver des solutions aux problèmes qui impactent les réalités des femmes. Ça c’est un point. Il y a aussi le point que l’activisme a été professionnalisé; maintenant ce sont des gens qui travaillent dans des bureaux qui ne sont pas nécessairement au jour le jour en contact avec la réalité des femmes. Donc, il y a cette question qui est là aussi. On se retrouve à porter, comme tu disais, la question des droits et sans vraiment interroger qu’est ce que cela veut dire dans notre contexte africain. Dans une Afrique qui est étouffée, qui est humiliée, où nos gouvernements ont très peu de marges eux-mêmes mais on est là entrain de porter des revendications, on est toujours coincée et on travaille avec l’image de cette Afrique qui nous a été renvoyée par les pays Européen.nes. C’est à partir de ces images-là qu’on parle de la question du féminisme, qu’on parle de la question des droits de femmes mais sans pour autant être dans la dynamique aussi d’articuler, de réfléchir et de concevoir des alternatives qui viennent de nous-mêmes. Je me demande un peu, si tes observations, ces constats sont d’actualités en Mauritanie et même pour toi en tant qu’’activiste. Et quelles sont les conversations que les femmes de notre sous-région nous devrons avoir mais qu’on arrive pas à avoir et pourquoi!  

Dieynaba: Je rebondis sur la question des fonds qui sont forcément des fonds qui déjà viennent avec leurs propres thématiques et tout qui ne sont forcément pas en lien avec les besoins prioritaires des gens sur le terrain. Là, je pense que ce sont des questions que nous, y compris moi, portons beaucoup le plaidoyer sur ça. Déjà, il faut laisser les gens qui sont sur le terrain, notamment les féministes et associations des droits des femmes, définir leurs priorités d’actions et qu’on ne soit pas toujours dans cette logique des fonds qui viennent d’ailleurs. Si aujourd’hui les fonds viennent sur le terrorisme, on va parler du terrorisme. Si demain les fonds viennent pour l’eau, on va parler de l’eau, après demain ça sera sur la terre, après demain ça sera sur l’huile, je ne sais pas en fait! Donc, c’est souvent des thématiques qui sont prédéfinies avant même que l’on puisse dire tout simplement que ça, ça ne fait pas partie de nos priorités. 

Mais l’autre chose aussi qui est la réalité, c’est aussi la précarité des organisations et des mouvements féministes au niveau de l’Afrique. C’est-à-dire, on sait très bien que dans nos pays par exemple, les gouvernements ne donnent des subventions aux associations, aux ONGs, encore moins aux mouvements féministes qui sont des mouvements qui sont jugés un peu, qui perturbent un peu la culture. Donc ce qui fait que ces mouvements, ces associations sont très dépendantes des organisations internationales parce que sans ça, leurs champs d’actions sont très limités. On sait qu’il y a des associations qui veulent cette autonomie, cette indépendance financière mais ça impose toujours aussi des limites. Des limites de ce qu’on peut faire, de ce qu’on ne peut pas faire, et même des limites d’interventions. Vous allez voir qu’une association par exemple, qui intervient à Nouakchott, a tous les problèmes du monde pour aller intervenir à Rosso qui est à 150 kilomètre de Nouakchott parce que l’association n’a pas les moyens financiers pour pouvoir intervenir dans cette ville. Et on sait aussi que les besoins sont beaucoup plus réels dans le monde rural que dans les zones urbaines et périurbaines. Ce qui fait que ces associations sont forcément dépendantes de ces organisations internationales qui financent et qui souvent viennent avec leurs thématiques pré-définis même si souvent ces thématiques ne sont pas des priorités sur le terrain, des fois c’est juste un moyen pour les associations de pouvoir avoir les financements pour pouvoir faire quelque chose, de pouvoir agir quelque part, de pouvoir plus ou moins changer la donnée. 

Et, pour  ce qui sont des organisations féministes qui ont des champs d’actions assez élargies sur plusieurs thématiques, je pense qu’on gagnera toujours plus à intervenir, par exemple, sur nos thématiques que l’on jugera prioritaires et on gagnera plus aussi à faire un plaidoyer envers nos propres gouvernements qui n’arrivent pas à subventionner les associations de leur propre pays. Ces associations sont obligées d’aller demander des subventions aux organisations internationales. Pour moi, c’est ça l'indépendance. L’indépendance c’est pouvoir compter sur soi, c’est commencer à avoir des gouvernements, des institutions de gestions qui font que les associations et les ONGs auront l’indépendance d’agir et qu’elles mêmes elles puissent définir leurs thématiques prioritaires par rapport aux réalités sur le terrain. 

Mariam: C’est là la complexité, n’est-ce-pas. Nos gouvernements mêmes font appel aux fonds de l'extérieur pour pouvoir gouverner donc on est vraiment pris dans le système global qui continue à maintenir l’Afrique dans cette dynamique d’être toujours à la quête, d’être des mendiants. Pourtant on vient extraire nos ressources pour pouvoir les transformer et après venir nous donner des discours sur le développement et nous forcer à aller quémander des fonds pour se gouverner et pour pouvoir faire le travail dans la société civile. Et pourtant, ce ne sont pas des conversations que nous sommes en train d’avoir en tant que société civile mais surtout en tant que féministes, comme, quelle est notre lecture de la place de l’Afrique dans ce monde en pleine chute. Quels sont les enjeux qui émergent, quelles sont les analyses que nous devons avoir. Parce que aussi, il nous faut prendre des risques, je parle de risques politiques; il y a très peu de risques dans le genre de travail que nous sommes en train de faire. Par exemple, tu as donné l’exemple du fait que les mouvements féministes  sont les mouvements les plus divers en Mauritanie mais cela a une limite! Il y a aussi la question des risques. Quand on parle de liberté (moi je ne parle pas de cette question l’égalité parce que ça c’est une autre question), cela demande que l’on doit pouvoir prendre des risques sur les enjeux que l’on veut porter. Pour moi, je trouve qu’on a vraiment besoin de faire un travail d'analyse politique profond comme outils et d’articuler nous-mêmes par nos observations, par nos réalités de ce qui se passent dans nos pays, et même apprendre des femmes dans les quartiers, dans les villages qui ont leurs propres systèmes de soutien, que ça soit à travers les tontines et les choses comme ça. C’est pas comme si les femmes ne sont pas entrain de faire des choses, elles sont entrain de faire des choses. Et aussi, la question de quelles sont les limites mêmes des financements. 

Dieynaba: Je suis convaincue qu’on doit parler, qu’on doit débattre, qu’on doit définir les choses. De la même manière que les femmes ne sont pas une entité homogène, c’est de la même manière que les mouvements féministes au niveau de l’Afrique ne sont pas une entité homogène, il faut forcément aussi définir nos priorités, nos manières de faire, où commencer. Tout ça c’est en même temps des enjeux et en même temps des priorités d’actions. Ce n’est qu’en faisant ça qu’on aura des actions coordonnées. Et on sait aussi que l’Afrique est tout un continent donc, forcément, il y a des réalités qui varient d’un pays à un autre. Mais je pense qu’à l’échelle pays cas même, il y a forcément moyen de pouvoir définir ensemble des priorités, définir ensembles les champs d’actions, par exemple des plans d’actions de cinq ans, de dix ans même si je l’avais dit encore, quelque soit notre travail de réflexions, de nos plans d’actions, on est toujours dépendant de ces financements qui viennent de l’extérieur. Parce qu’on a aucun moyen d’agir dans nos zones ou dans nos pays, déjà on sait qu’en Afrique, la société civile, au lieu d’être perçue par nos gouvernements comme des agents de régulations, des agents de complémentarité par rapport à l’État, nos gouvernements souvent prennent des acteur.es de la société comme étant des concurrent.es. C’est ça aussi le vrai problème. Alors que ça doit être aussi une force de régulations, une force de propositions, une force d’actions tout simplement par rapport à ces enjeux. Et je pense intimement que tant qu’on aura pas cette indépendance financière, il sera toujours très difficile pour nous de faire les choses comme on le veut par rapport à nos priorités. Parce que je le dis et je le répète encore une fois, les sources qui nous viennent de l’extérieur, ce sont des sources qui nous viennent avec des thématiques prédéfinies. 

Mariam: Dernière question. Quand tu te permets de rêver, par rapport à l’avenir de la femme, l’avenir du féminisme que ça soit en Mauritanie ou sur notre continent, de quoi reves-tu? 

Dieynaba: Je rêve de la disparition, et quand je dis disparition du féminisme, c’est qu’il y a eu des problèmes. Si le féminisme existe, c’est qu’il y a le patriarcat qui est là qui fait qu’on est dans des systèmes qui sont très déséquilibrés, qui ont crées des mouvements en fait qui viennent dire que “voilà nous nous sommes là parce que c’est pas normal, on veut rectifier.” Mais dans le meilleur des mondes, c’est une société où tout est en symbiose en fait, qu’on vit dans un système qui relève d’une équité parfaite entre les gens et les peuples. C’est-à-dire qu’on ne remarque pas forcément par exemple, tel est un homme, il doit avoir beaucoup plus de privilèges et telle est une femme, elle doit être moins lotie dans la société. Mais, qu’on réfléchisse par exemple, en tant qu’être humain, qu’il y a sa place dans la société, qu’il doit pouvoir faire des choses, tout ça. J’aimerai vraiment rêver être dans une société où être une femme ce n’est pas un fardeau, être noir.e ce n’est pas un problème et que j’aurai même pas de revendications à porter et je n’aurai même pas besoin d’être féministe pour régler telle chose, ou revendiquer ou denoncer. On sera dans une société en parfaite symbiose. Une société qui respecte la diversité des uns et des autres, qui respecte le fait qu’on est des hommes, des femmes, des enfants et des vieux. Et que je n’aurai pas forcément besoin de me mettre en mouvement ou en association pour militer, pour revendiquer mes droits parce que je les aurais déjà acquis!                      

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