Les fonctions d’une Mbombock Koo-Koo (suite)
SN Nyeck
13 Juin, 2023
La sorcellerie c'est quand tu as fait des enfants, ou même si tu n'en as pas fait, mais ça ne vient jamais très tôt. C'est-à-dire que c'est quand tu as dépensé tes énergies productives, dans le sens général du thème. Tu as servi la société, tu as fait ci et ça, au moment où tu prends ta retraite, au moment où tu devrais être là, pour qu'on te retourne un peu le service, bah on se retrouve complètement dans la barbarie.
SN Nyeck, Ph.D., Mbombock Koo-Koo, Basaa, Mpoo, Mbati est présentement professeur agrégé multidisciplinaire en études africaines et genre au Département des études ethniques à l’université de Boulder, au Colorado. Ses sujets de recherche sont axés sur l'économie politique du développement, la gouvernance et la réforme mondiale des marchés publics avec un intérêt pour la justice sociale, et les politiques de genre et d'identité. Elle a beaucoup écrit sur des sujets interdisciplinaires tels que les politiques publiques, l'équité entre les sexes, l'éthique et la religion, la réforme des marchés publics, l'inclusion économique et les droits de l'homme. Elle est rédactrice en chef des critiques de livres pour le Journal of Africana Religions.
Féministe
Transcription
Troisième dimension! Je vous ai dit que la possibilité d'entendement c'est maintenant réfléchir. C'est quoi le Koo-koo?
C'est aussi l'escargot. Alors l'escargot c'est très intéressant parce que l'escargot sur le plan scientifique est classifié comme appartenant au monde animal. Et les hommes, les êtres humains appartiennent au monde animal. Nous ne sommes pas des végétaux, je crois au moins qu'on s'entend sur ce plan.
Alors le monde animal pour survivre, se reproduit sur la base de la reproduction sexuée ou asexuée, mais on a toujours une constante. On a des personnes qu'on appelle des femmes, et d'autres qu'on appelle des hommes. L'escargot est très intéressant parce que l'escargot est à la fois homme et femme. C'est-à-dire que dans la constitution de l'escargot, l'escargot est un peu comme Adam dans Genèse 02. Pour les chrétiens qui nous écoutent, allez lire. Ne dites pas que l'intellectuelle-là est venue nous raconter des histoires, ouvrez votre Bible, allez lire. Vous allez lire là-bas qu'au sixième jour, quand Dieu les a créés.
« Et-Et », en français ça veut dire les deux, and en anglais. Ça ne demande pas l'interprétation, ça ne demande pas le doctorat, mes frères et mes sœurs, mes mamans.
Genèse 02: Quand Dieu a fait son travail, au sixième jour, il a créé l'homme et la femme.
C'est-à-dire que les Bassaas sont arrivés à insérer, avant la Bible qui est venue chez nous vers les 17e, 18e, 19e siècle, cette problématique ou alors cette représentation qui parle à la fois de la biologie, mais qui va au-delà de la biologie.
Homme « Et-Et », c'est-à-dire, and, les deux. Vous voyez dans Genèse 01, à la fin de la création, il n'y a pas Adam là-bas, il n'y a pas Ève. On dit seulement que, après les avoir créés comme ça, Dieu s'est reposé, il a dit : "Tout va bien". Donc cet aspect, on l'a intégré et le corps est à la fois mâle et femelle. Et c'est parce que la femme Koo-koo doit travailler avec ces deux énergies.
Fondamentalement, la pensée Bassa, Mpoo, MBati n'est pas féministe dans le sens où elle n'entre dans aucune conversation en disant: les hommes sont les problèmes, les hommes ont un problème. Non! Parce que de mon siège, si je dis homme, je parle de moi, et si je dis femme, je parle de moi, donc quelle partie de moi a un problème? Mais on ne s'arrête pas là. Je vous ai parlé des structures permanentes et solides, le triangle est l'une de ces structures. Donc nous avons homme et femme, la base, mais on doit transcender les deux pour atteindre un troisième point. Vous pouvez noter que le chiffre trois revient beaucoup. Je vous ai parlé de Koo-koo, les trois dimensions.
Donc quand on transcende ces choses-là, ça veut dire qu'on est maintenant au-dessus du genre. On est entré dans une dimension où on vous dit que Dieu n'a pas de sexe par exemple. Jésus même vous dit, quelqu'un lui pose la question: Eh quand est-ce qu'on va mourir? La personne ci était polygame, il est mort. Son frère a pris sa femme, ils ont eu des enfants, l'autre est mort. La femme là tue les hommes au village. Vous connaissez, les femmes qui tuent les hommes en Afrique sont nombreuses comme ça.
Oui! Good! Il dit alors: “quand on va ressusciter là-bas? Toi tu es venu nous parler de la vie éternelle, quand allons-nous arriver là-bas?”
Vous voyez ce que pensent les hommes. Même là-bas, il faudrait résoudre le problème du genre, du sexe. Vous qui nous dites de ne pas faire des recherches sur genre et sexualité, vous savez qu'après la mort combien de femmes vont ressusciter? Qui va prendre quoi? Faisons l'héritage maintenant.
Maintenant je vous parle encore mes frères et mes sœurs, comme on parle dans la rue. Jésus leur a dit: “mes frères, écoutez-moi bien, après ça il n'y a même pas de mariage, hein, donc là-bas, la vie éternelle que vous voulez, il n'y a pas la vie sexuelle là-bas, donc faites vos enfants maintenant.” C'est dans votre Bible, allez lire. Ce n'est pas moi qui ai dit.
Donc avant que Jésus ne vous dise ça, les Bassaas, Mpoo, MBati nous ont dit que, en tout cas moi en tant que femme Kokoa : ton rôle c'est d'atteindre le paradis. Mais ici, sur terre, maintenant. Je n'ai pas besoin de mourir pour savoir qu'il n'y a ni homme ni femme là-bas. Les Bassaas chez moi, nous avons compris cela longtemps. Voilà la pensée philosophique, voilà le contenu, je ne veux pas aller dans d'autres contextes, mais pour faire terre à terre. Quand je parle comme ça, mes mamans au moins peuvent entendre, que: “Ah! On voit déjà, on voit ce que tu veux dire”.
La dernière chose que je veux dire, je vais donner trois dimensions. Maintenant, c'est quoi la fonction du corps? Je vous ai parlé du côté social et tout ça là. Maintenant pour clôturer, les Bassaas n'ont pas un nom pour dire Dieu, nous appelons la divinité «Hilolombi». Un mot en deux syllabes.
Lombi veut dire «ancien». Lo veut dire «celui qui vient».
"Viens ancien, le plus ancien". Donc nous ne sommes pas dans la guerre des religions pour dire que: “eh ton Mahomet est un né 600 ans après Jésus, mon Jésus est venu avant toi.”
Si tu penses que le tien est venu avant, c'est bien. Invite-nous pour célébrer l'anniversaire. Nous disons juste qu'après ça, le point original que nous tous on ne peut pas connaître. La science nous a dit que c'était le Bigbang, les autres nous ont dit que c'est quelque chose de mystérieux qu'on ne connait pas encore. Mais de toute façon, la science nous montre que notre façon d'approcher le concept de Dieu est plus rationnel que de dire que ma part est née ici, je reconnais, il a grandi dans mon village. On dit seulement que non, ce qui est la cause, la première chose, le tout. Voilà on n'a pas eu besoin de bouddha pour comprendre ça, les Bassaas Mpoo, Mbâti nous avons dit ça. Le seul, l'unique, le tout.
Mais dans la représentation intellectuelle, on a toujours associé ce mot à une énergie masculine. Voilà ce que Hilolombi va dire à la femme Koo-koo, parce qu'on a neuf cercles initiatiques. Le Koo-koo est le neuvième, c'est-à-dire trois et trois et trois (3 - 3 - 3).
La seule chose, le dernier, le rempart, la peau, tout ce qui englobe le reste, voilà ce que Hilolombi va dire: “Tu ne m'appelleras jamais par le nom Hilolombi”. C'est-à-dire qui porte seulement l'énergie masculine. “Tu m'appelleras [KI Hilolombi]”.
Le nom que je porte « Nyeck », c'est une forme pervertie de « Ki », parce que les premières femmes qui sont arrivées au Cameroun, parce que nous avons migré.es de l'Égypte vers le Soudan, jusqu'à arriver au Cameroun, s'appelaient « Ki, Kindack».
Alors je ne sais pas quand est-ce qu'on a transformé ça pour nous dire que nous sommes des filles de. Et ça c'est le christianisme. Donc la Koo-koo a une seule mission, ma Bible j'ai un seul verset ou une sourate pour ceux qui sont musulmans. La sourate dit que: “je n'appellerai jamais la divinité par le nom masculin”. Vous comprenez maintenant que ça peut me poser un problème de dire: “Jésus-Christ mon seigneur et mon Dieu,” ça commence à me gêner un peu. Mais voilà il me dit: “Tu m'appelleras Ki, c'est-à-dire [Je suis toi]”.
Qu'est-ce que cela voudrait dire dans le plan pratique?
La mission du Koo-koo est d'aspirer et de devenir la meilleure personne. C'est-à-dire que si nous prenons Dieu comme l'infini, je suis interpellée à explorer l'infinité de mon potentiel mis au service de la communauté et de l'humanité. Voilà mon verset biblique, voilà ma sourate coranique, voilà en résumé.
Vous voyez donc que dans un sens, on voit des correspondances avec ce qu'on connaît. Le problème c'est qu'on a négligé notre part, on l'a stigmatisé, et on n'a rien à dire. On va seulement gober ce que les autres nous ont donné, et je pense que ça ne construit pas l'humanité.
L'humanité est construite quand chacun reconnaît qu'il a une portion et c'est ça qui fait qu'on entre dans un dialogue. Tant que l'humanité n'est pas encore arrivée à ce niveau, la spiritualité ne peut pas être accomplie.
3ème Transcription de SN
Mariam: Ce que je disais avant qu'on arrête, qu'on ne fasse une pause, c'était de parler de l'aspect de la stigmatisation s'il y a, par rapport à l'image que les gens se font des femmes Mbombock. Eh oui! Cette malheureuse pratique qu'on a en Afrique de stigmatiser dans certains contextes, même internés, les femmes qui sont soi-disant accusée d’être des sorcières. Je me demande si une réalité similaire existe chez les Bassas au Cameroun.
SN: Comme je vous ai dit, les rapports sociaux entre genre, entre hommes et femmes, entre parents et enfants ont fondamentalement changé. Je vais peut-être commencer par dire que les sociétés humaines sont équivalentes, parce que l'être humain est une combinaison du positif et du négatif. Il n'y a donc pas de société, de nos jours ou même avant, qu'on peut dire qu'elle était exempte de cette réalité-là. La différence est sur l'aspect organisationnel, c'est-à-dire que si on reconnaît que l'être humain est complexe, et si on a comme projet de société de permettre que le côté positif, la vibration positive, puisse dominer et prendre de l'ampleur. Il y a plusieurs modèles que les gens ont expérimenté. De nos jours, on parle de l’état, de la démocratie, des ci et ça, ce sont des formules. On se cherche en quelques sortes pour essayer de calibrer vers un certain équilibre.
Le problème du genre en Afrique, du statut des femmes, je pense que globalement on peut dire qu'il a été divers et varié sur tout le continent. Moi j'ai toujours dit aux gens : « On n’a pas besoin d'insister sur un passé mythique qu'on ne connait même pas, pour pouvoir plaider pour les choses aujourd'hui. »
D'après ce que je sais et me fondant peut-être sur l'histoire de ma famille, il y avait, au niveau culturel, des dispositions sur l'égalité des hommes et des femmes. Ça ne veut pas dire que sur le plan individuel, les hommes spécifiques et les femmes spécifiques n'étaient pas dangereux pour leur communauté.
Je vous ai parlé y a peu de mon arrière-grand-père qui était un Mbombock. On nous chante les louanges sur sa sagesse, sur sa connaissance des herbes médicinales, sur beaucoup de choses, sur son dévouement pour la justice et des choses comme ça. Mais un aspect est très intéressant, je n'ai jamais entendu des éloges sur son rapport avec les femmes, je n'ai pas vent de ça.
On raconte même qu'il était tellement fort qu’une femme est venue se plaindre à lui un jour, qu'il y a un animal qui vient toujours ravager ses cultures et sa semence. Et après avoir travaillé, elle n'arrive pas à manger. Donc c'est comme si quelqu'un, et vous savez en Afrique on dit toujours : « ça peut être quelqu'un ». Donc le phénomène de la métamorphose qu'on voit dans les films aujourd'hui, c'est quelque chose de très vieux, je ne vais pas revenir sur ça.
Donc qu'est-ce que mon grand-père, je n'étais pas là, ce sont des histoires qu'on raconte, on nous dit: Bah il dit à la femme, voici son élan de justice, je vais m'en occuper. Qu'est-ce qu'il fait? Il décide de camper dans le champ de la femme jour et nuit pour essayer d'observer ce qui se passe. A sa surprise, il voit une autre femme venir, et après les incantations, elle se transforme justement en cet animal qui va dévorer la plantation d'une autre femme. On dit qu'elle avait l'apparence d'un lion, et effectivement, mon grand-père a dû combattre physiquement cette femme dégénérée ou alors cette femme qui faisait ce qu'on appelle aujourd'hui la sorcellerie, ou n'est-ce pas intéressant, c'est la magie noire. Elle ne peut pas être blanche, noire, la magie noire.
Au bout donc de cette lutte, il parait que cet animal qui avait cet aspect d'un lion, a logé ses griffes sur la poitrine de mon arrière grand père qui réussit à tuer cet animal mais s'en sort quand même avec une blessure très grave. donc il va survivre cette blessure, j'ai juste une photo de lui où on voit que quelque chose lui était arrivé sur la poitrine. Mais ce qui était intéressant quand on regarde cette affaire-là, qu'est-ce qu'on célèbre là, il y a plusieurs pans d'interprétation.
Il y a le héros, homme de justice, leader du peuple, qui va au secours d'une concitoyenne qui se plaint pour rétablir l'ordre. C'est tout à fait le Mbombock parfait. Mais ce qui ne se dit pas, c'est très subtil, c'est que le désordre en fait est causé par une autre femme. Donc tu vois une narration qui présente la femme comme à la fois la victime et aussi la femme comme l'origine même du chaos social qui nécessite une certaine intervention.
Mon arrière-grand-père avait quatre femmes. On dit que les trois premières femmes n'avaient pas fait d'enfants. Il va donc prendre mon arrière-grande-mère, très jeune comme à l'époque où on t'emmenait dans le village de ton mari, pratiquement très jeune, et tu restais là avec tes mamans, qui allaient t'élever presque, jusqu'au moment où tu as l'âge de pouvoir passer des nuits avec ton mari. Et c'est comme ça que, elle la dernière, et elle qui était presque rien lui donne le premier fils, qui est mon grand-père.
On me parle d'une certaine tradition. A un moment de l'année, les hommes polygames accusaient d'autres hommes d'entretenir des rapports illicites avec leur femme. C'était un peu comme une taxe sociale, c'était un peu comme Noël, ou comme la Pâques, je ne sais pas, ici on a Halloween. A un moment de l'année, si tu es polygame, tu accuses telle personne d'entretenir des rapports illicites avec ta femme. Il y a d'ailleurs un nom, on appelle ça : « Miho, la saison des Miho ». Donc il revient à toi l'homme qui n'est pas l'époux, de prouver ton innocence. Ce n'est pas que tu es d'abord innocent, tu es présumé coupable, et si tu ne peux pas prouver ton innocence, qu'est-ce qui se passe? Tu dois donc payer comme une taxe sociale à l'homme qui a été déshonoré. Quand tu comprends très bien, voilà encore une histoire, parce que les histoires qu'on se dit et qu'on se raconte, c'est très intéressant pour essayer d'imaginer même si on ne peut pas rentrer dans le passé et voir comment les rapports se passaient là-bas. Cette histoire par exemple nous démontre quoi? Que les hommes même étaient encore victimes de cette inégalité de genre, parce qu'ici on pense à la femme comme subordonnée à l'homme par exemple. Mais très rarement on pense que c'est le problème de la femme. Mais dans ce cas, n'importe qui pouvait être cité comme étant en rapport illicite, et la façon de réparer ce déshonneur-là, c'était justement d'être puni, qui sait peut-être c'est 5 moutons, 10 vaches, etc. Donc c'est une source de revenus à qui porte la main que quelqu'un d'autre s'est approché de sa femme. Quelque part tu vois un peu, ça met aussi d'autres hommes, et ça subordonne aussi d'autres hommes au pouvoir des hommes qui ont les moyens.
Cela dit, je raconte ces histoires pour montrer que l'être humain, maintenant je parle de l'être humain. Dans toutes les sociétés, même quand il y a des dispositifs au niveau des institutions pour permettre l'harmonie de vie et tout, cela ne veut pas dire que les hommes particuliers sont parfaits, ou que les femmes particulières sont parfaites.
On peut et on retrouve en Afrique, par exemple, je ne veux même pas parler de l'Afrique, restons avec le côté de ma famille. Du côté de mon père, les femmes sont très fortes de caractère, elles sont très indépendantes, et se marier ou ne pas se marier, ça ne veut rien dire dans le fond. Mais ce n'est pas vrai, du côté de ma mère, par exemple. Tu vois donc deux réalités au niveau de la société, dans la même famille. C'est ça l'Afrique.
On a à la fois des traditions, des entendements, qui justement permettent l'équilibre. Tout à l'heure, je vous ai parlé du corps, et le corps est fondamentalement indépendant. C'est-à-dire comme un cercle initiatique, on n'a rien à demander à un homme, et les hommes aussi sont indépendants. Aucun homme ne peut te dire ce qui se passe dans le corps et moi non plus je ne peux pas te dire ce qui se passe dans l'initiation d'un Mbombock. Vous comprenez...
Mais la sagesse veut que, lorsqu'on arrive par exemple à faire une bénédiction ou à prendre des mesures sur certaines choses, il faut à la fois, soit la bénédiction du Mbombock mâle, et de la femme Ko. C'est seulement quand les deux se rencontrent que c'est la plénitude de ce qui doit être fait. On voit encore là sur le plan purement institutionnel, que le bassa-mpoo-bati est très égalitaire, mais cela ne me renseigne pas sur les comportements des uns et des autres.
Maintenant, le problème c'est quand un phénomène prend des dimensions sociales. Par exemple, on peut accuser, et moi je me suis toujours demandé, si honnêtement il y avait un tel pouvoir, que les femmes ont la magie de connaître ou de décoder la clef mystérieuse. Il y aurait, juste en pensant à la logique, un même pouvoir similaire, auquel les hommes auront accès. Mais je n'ai jamais compris pourquoi en Afrique, la connaissance de la sorcellerie est réservée. C'est l'aspect exclusif du mal et là on voit très bien l'origine. Parce que quand on se réfère encore, quand on repart dans la tradition judéo-chrétienne, on voit la femme dès le départ maudite. Mais ce n'est pas une maudite, la femme est maudite que tu accoucheras toujours avec la douleur.
Donc si on a commis le même crime, on s'en fout de qui a commencé quoi. OK mais tu as mangé la peau, moi même j'ai mangé la peau, on a senti que c'était bon. Mais il n'y a rien qui dit que toi tu aurais une certaine douleur, je parle de la douleur physique. Mais à elle on dit : « tu seras en perpétuelle douleur ». Là déjà, ce n'est pas seulement les écrits, ce qu'on appelle : "The fathers of the church", ce qu'on appelle les premiers intellectuels, les patriarches de l'église, la tradition patriarcale de l'église, a interprété ce passage ainsi.
Il y a même des interprétations qui ont suggéré qu'il ne s'agit que d'une métaphore, et qu'en fait, il s'agit d'un rapport sexuel illicite entre Ève et la chose qui lui parle. Donc on voit là quelque chose qui vient établir un certain paradigme, donc on ne pense plus à l'individu et à un comportement. On est maintenant dans le verdict ontologique. C'est-à-dire que du fait de ton ontologie, du fait que tu es appelé femme, ton existence est attaché à la douleur, ton existence est attaché à la subordination. Il n'y a donc que dans ce contexte que je peux justifier, ou alors c'est des phénomènes que l'on voit aujourd'hui où comme au Ghana on a des villages. C'est un peu comme si on a des prisons modernes. Il y a des endroits qui sont comme des prisons des femmes. On t'a accusé d'être sorcière donc on te téléporte, on t'amène là-bas vivre dans cet endroit, rien que les femmes accusées de sorcellerie. Je ne pense pas que ce genre de chose existait dans le passé.
Comme je vous ai dit, je vous ai raconté l'histoire de ma propre famille, elle est complexe, sauf que jusque-là ce n'est pas à l'échelle sociétale. Mais ce qui permet de changer ce statut, mon nom est devenu, je devrais m'appeler : « Kiyeck », c'est devenu Ngonyeck. La traduction c'est : la fille de.
Donc on part d'un statut où toutes les femmes nées dans ma tribu, mon groupe ethnique avaient conscience de leur origine divine. Parce que le "KI", c'est la marque divine, c'est l'incarnation comme les chrétiens pensent que Jésus est venu s'incarner dans Marie, il n'y a pas eu d'interaction sexuelle. Donc chez le bassa, l'incarnation cet acte là est purement dans le corps féminin, c'est pourquoi le corps est à la fois mâle et femelle.
Tu pars alors de ce statut là qui est très élevé, par sa portée philosophique et ésotérique, et tu descends ton statut. Tu n'existes plus, mais tu existes seulement par le fait qu'on doit te rappeler tout le temps que tu es la fille de quelqu'un.
L'autonomisation qui était là, on l'a perdue. Mais pourquoi on l'a perdue? On ne l'a pas perdue comme ça parce qu'on s'est réveillé et les hommes sont devenus mauvais. Non! On l'a perdue parce qu'il y a eu un autre paradigme qui nous rappelle que : « Hey! Vous êtes des maudites. Alors écoutez, soit vous restez des bonnes filles chez vos parents avant d'être de bonnes femmes chez vos maris ».
C'est comme ça que moi je peux voir ça, mais je parle de ces choses en riant. Toutefois, il faudrait spécifier ici que j'ai quand même étudier le christianisme en plus des sciences politiques. Le problème du christianisme c'est que, en se mariant au pouvoir de l'État, le christianisme pendant la colonisation ne pouvait être qu'impérial et colonial. Mais dans le christianisme comme dans toutes religions, il y a un milieu qui raisonne. Moi, je suis particulièrement attirée par les mystiques du christianisme qui rejoignent les pensées, les pratiques indigènes dont nous parlons.
Toujours est-il que ce ne sont pas des voix qu'on rencontre à l'église le dimanche matin. Au Cameroun, personne ne va à l'église le dimanche matin pour écouter un sermon sur par exemple Thérèse d'Avila ou sur Thérèse de Lisieux. Non non non ! Ce n'est pas ça. Il faut voir que la même chose se pose au niveau de l'église. Notre combat a toujours été celui de ce qu'on pense que la spiritualité ou la divinité nous donne et celui des institutions sociales. Et certaines choses à mon avis peuvent être négociées, et d'autres ne doivent pas être négociées. C'est là où il y a un problème.
Mariam: Je pense qu'on va arrêter ici, sur ce volet-là. Mais il y a quelque chose de très intéressant qui disait impérial et colonial, l'accusation des femmes qui sont prétendues avoir des forces maléfiques. Maintenant, c'est tellement lié à l'appropriation des terres, parce que c'est aussi intéressant de voir dans quelle mesure ce sont des femmes d'un certain âge, parfois ce sont des femmes veuves dont les maris sont décédés, et qui se retrouvent dans des positions vulnérables dans leur communauté, où que ça soit les beaux frères, ou d'autres membres de la communauté qui auraient des intentions sur leurs terres et on commence à formuler des accusations, des rumeurs qui prennent une forme réelle. Cet aspect-là est vraiment très important.
SN: Absolument! Surtout quand tu n'as plus le mari pour te protéger. Quand on parle, des veuves sont toujours accusées. C'est très important ce que tu dis.
La sorcellerie c'est quand tu as fait des enfants, ou même si tu n'en as pas fait, mais ça ne vient jamais très tôt. C'est-à-dire que c'est quand tu as dépensé tes énergies productives, dans le sens général du thème. Tu as servi la société, tu as fait ci et ça, au moment où tu prends ta retraite, au moment où tu devrais être là, pour qu'on te retourne un peu le service, bah on se retrouve complètement dans la barbarie. Et ça, c'est contraire à ce qu'on appelle la solidarité africaine, parce que moi j'ai vécu dans un contexte où on nous a appris à respecter les parents. j'appelle toute femme qui a l'âge de ma mère ou même un peu moins que ça, Maman. Donc il y a cette affaire de maternité sociale, mais comment cela se fait-il ? Justement dans la tradition, les pratiques européennes comme ici aux États-Unis, dire à quelqu'un qu'il a pris de l'âge c'est une insulte. Le vieux, la vieille, c'est une insulte, ce n'est pas le respect. Donc on a un peu aussi pris ça, mais on le fait de façon tellement barbare que c'est vraiment désolant.
Mariam: Je reste, ne serait-ce qu'une minute sur ce point là, parce que tu as parlé des dynamiques. Et d'un côté, on appelle les hommes qui ont ce genre de pouvoir des guérisseurs. Parfois, ces personnes soi-disant guérisseurs, abusent de leurs pouvoirs. Certains de ces abus sont les abus sexuels contre les femmes, et on a des preuves de ces actes contre ces personnes là, qui ne sont jamais en danger dans leur communauté. Toute la communauté même essaye d'étouffer ces affaires et d'accuser ces femmes qui osent parler de ceci.
A ma connaissance je n'ai pas vu de camps, donc le côté patriarcal des soi-disant guérisseurs, c'est l'aspect patriarcal qui est vraiment là, comme tu disais et c'est si intéressant. C'est quand la femme a fini, elle est à la retraite, elle a fini ses devoirs de reproduction, on la met hors de la communauté et de façon si violente. Et parfois aussi, elles peuvent rester dans la communauté, mais avec vraiment cette stigmatisation.
Je me rappelle, à Bobo-Dioulasso, au Burkina Faso, quand on grandissait, je ne pense pas qu'au Burkina on ait des camps. Ces femmes qui ont été accusée de la sorte vivent toujours dans la communauté, mais elles portent un poids incroyable de stigma. Je me rappelle, je peux voir visuellement en te racontant cette histoire, que certaines de ces femmes, et bien sûr âgées d'un certain âge, quand elles rentrent dans les quartiers, les mamans commencent à...
SN: ...A fuir.
Mariam: Non! A prendre leurs enfants, pour les rentrer dans la maison, pour les protéger. Parce qu'on dit voilà la sorcière...
SN: ...Qui arrive.
Mariam: Celle qui mange les enfants, elle a besoin de manger, comme on dit les mangeuses d'enfants. Mais elles le savent, parce que quand tu commences à rentrer dans les rues et tu vois, tu le sais. Tu vois des mamans qui courent et qui arrachent leurs enfants qui étaient en train de jouer pour aller les enfermer dans la maison. Mais toujours tu vis dans cette communauté là. Il y a cette violence ignorée qui est là aussi, et paradoxalement, pour moi, à ce niveau-là, ce sont les femmes qui perpétuent ces violences là. Parce que les hommes ne sont jamais là, ils sont au champ, au marché, etc. Mais à la maison tous les jours ce sont les femmes qui sont là. C'est très intéressant.
SN: Bon, je pense que ce que tu dis est très important, parce que le problème d'abus et d'abus sexuel, je vous ai parlé de certaines situations, est un problème très grave. Peut-être ça commence à changer dans le sens où certaines personnes commencent à en parler. Mais c'est encore l'une des choses où on n'est même pas permis d'être victime et tout s'accorde. Vous avez les guérisseurs comme tu les appelles, qui abusent et des enfants, et des femmes, de tout le monde. Il n'y a aucune punition. Il y a même les pasteurs et les prêtres de l'église, c'est la même chose.
Il y a quelques années, il y avait eu un rapport sur l'église catholique en Afrique, et on montrait que là bas, il était très courant pour certains prêtres d'entretenir des femmes. Et moi même j'ai vécu ce phénomène, parce que ma mère étant institutrice, elle enseignait justement dans une école et l'une de ses collègues avait comme amant un prêtre avec qui elle faisait des enfants, et c'était su, vu et connu de tous. Quand moi j'avais lu ce rapport, ce n'était pas des rumeurs. Bien entendu comme je vous ai dit, ça ne veut pas dire que tout le monde ou tout prêtre se comporte ainsi, mais c'est important à noter.
Donc ici aux États-Unis, le même phénomène on en a. On a des révélations chaque fois des problèmes d'abus sexuels sur des mineurs, et tout. On voit quand même que ce n'est pas un problème de tradition africaine, ou de tradition chrétienne, c'est un problème simplement de comment on...
Deux choses:
On n'a plus d'espace sexuel. Presque partout en Afrique, il y avait un espace qui permettait non seulement pas aux parents, parce qu'aujourd'hui c'est seulement le problème des parents. On dit à la fille : « ta mère ne t'a pas bien éduqué, ton père ne t'a pas bien éduqué ? » Mais, il y avait toujours des rites de préparation à la puberté. Parce que la puberté c'est quelque chose de très, je ne peux pas dire, disons que c'est étrange. Pour l'enfant, tu sors de l'enfance et puis tu apprends à ne plus être un enfant, et ton corps se transforme et tout.
Donc avant, on avait reconnu l'importance sur le plan social d'avoir un cadre pour canaliser et inculquer des valeurs. C'est pour cela qu'on a parlé des problèmes de l'excision par exemple, ou même de la circoncision et tout ça. Il y a deux aspects. Il y a des pratiques qui sur le plan médical sont très dangereuses, et je suis pour une reconsidération de certaines pratiques. Mais cela ne va pas à l'encontre de l'esprit africain, parce que même moi pendant mes initiations, il y a eu un moment où on devait faire un rite dans un cour d'eau, et on devait faire un autre avec certaines herbes. On s'est rendu compte en fait à cause du changement climatique, qu'il n'y a avait pas de cour d'eau, ça avait séché.
A ce moment, il y a un substitut, parce qu'aucune culture n'est statique. Mais ce qu'on ne devrait pas faire, c'est de jeter l'enfant et l'eau de la bassine en même temps. Parce qu'en parlant seulement d'un point, d'une étape, la circoncision par exemple sur des femmes, je n'ai pas de position ambivalente là dessus hein. Je dis que ça c'est quelque chose qui doit être reconsidéré, mais on n'a pas parlé de la fonction de cet accompagnement culturel, aussi.
Quand les ONGs viennent, ils parlent de ceci, ils veulent te dire arrête de faire ça, ne fait plus. Or, c'est une dimension dans un accompagnement. Donc on n'a plus d'accompagnement aujourd'hui. On ne sait plus comment travailler avec ces énergies sexuelles, parce que le christianisme est venu nous dire que la sexualité est tabou, tu n'en parles pas, ni le matin, ni le soir, et tu n'en parles même pas quand tu es marié. Ça aussi c'est quelque chose qu'il faut accepter. Pourquoi on avait un temps, je veux dire un certain âge, mais les garçons étaient ensemble et ils faisaient tout ensemble. Ils allaient en forêt, c'était une éducation. C'est quoi être un homme ? Est ce que être un homme c'est tombé sur la première fille que tu vois ? Mais c'est ça qu'on voit aujourd'hui. Parce que non seulement on a enlevé le cadre d'éducation, mais on n'a pas enlevé la télé, on n'a pas arrêté les telenovelas.
Je me souviens quand j'étais au Cameroun, la télé était arrivé, j'étais au cours moyen 2. J'avais 8 ans parce que j'avais fait mes études très vite. Mon professeur était choqué. Il est venu à l'école nous parler du fait qu'il était assis au salon, et on a osé montré un homme et une femme qui s'embrassait. Il nous disait qu'il ne savait pas où fuir, parce que les enfants étaient là. Je vous parle de s'embrasser, il était scandalisé, c'est pour vous dire, j'étais à Yaoundé la capitale du Cameroun hein. Voilà donc ce qui s'est passé.
C'est une chose de dire quel type de pratique spécifique peut être réformée. Voilà, peut-être qu'on ne va pas dire la messe en latin, c'est un peu ridicule. Peut-être qu'on peut la dire en français, au moins quand on parle tu entends au moins ce qu'on a dit. Ou non, peut-être même que ce n'est plus le français, on peut dire la messe dans les langues, vous savez c'est comme ça. Chez nous, on ne prend rien. Quand les ONG arrivent pour dire NON, c'est non non non non et non.
Donc quel cadre? Combien de jeunes filles, mes soeurs qui m'écoutent là en Afrique, combien d'entre vous aviez eu une conversation avec votre mère à propos des cycles menstruels avant d'avoir les menstrues ? Beaucoup vont lever la main que : je n'ai jamais eu. Moi non plus, je n'avais pas eu, avant de les avoir, c'est de ça qu'on parle.
La famille est devenue quelque chose où il y a la suppression de la conversation, c'est-à-dire du dialogue. Et on voit ça même aujourd'hui dans le cadre politique où on est interdit, on vous interdit de parler de tout ça, comme si en parlant de quelque chose ça va te transformer en la chose. C'est de ça qu'il s'agit aujourd'hui. C'est pour cela qu'on voit ces agressions, or à l'époque, il y avait un cadre où les hommes pouvaient canaliser leurs agressions, apprendre des valeurs pour une masculinité intégrée, les femmes la même chose. On peut refaire aujourd'hui avec nos réalités, avec nos défis, avec comment la société est en train de se mouvoir.
Mais tant qu'on a des politiques qui disent : « ne parlez pas de ci, ne parlez pas de ça », beh certaines personnes vont écoper, c'est des vies détruites, et c'est beaucoup de phénomènes qu'on voit. Donc merci vraiment d'avoir soulevé ce problème d'abus dans nos sociétés, et le fait que nous en souffrons. Parce que quand une femme ou un homme a été abusé. Moi j'ai un ami au Cameroun, c'était le premier homme à me dire : « moi j'ai été abusé par une femme ». Et je crois qu'il n'est pas le seul au Cameroun, il y en a plusieurs.
Quand tu as une femme comme ça, la science a démontré que la guérison est longue et il y a beaucoup de choses. Donc vous tous là, même vous qui voulez vous marier, tu vois une belle fille, mais tu ne connais pas son bagage émotionnel. Ça fait déterminer les enfants que tu vas avoir, sa capacité d'être mère et tout ça.
Donc nous tous nous payons. On dit que ça tourne comme ça comme dans la sauce de gombo, ça revient. Voilà !