Ces femmes qui veulent prendre le pouvoir
Billé Siké
11 Avril, 2023
Nous sommes d’une autre génération. Le travail que nous faisons sur le terrain, c’est le travail de mobilisation sur la base de l’idéologie féministe mais on ne prononce pas le mot féminisme sur le terrain pour éviter d’être rejetées. Donc, on amène les jeunes filles à s’organiser entre elles et à se battre contre, par exemple, les mariages précoces et forcés.
Billé Siké est Camerounaise, sociologue, féministe. Elle est co-fondatrice de l’Association de Lutte contre les Violences faites aux Femmes et aux Filles (ALVF) au Cameroun. Elle est la pionnière de la Lutte contre les Mariages Précoces et Forcés dans la Région de l’Extrême-Nord, au niveau national et international. Elle fut la première responsable d’antenne de l’ALVF dans le Septentrion de 1996 à 2018. En 2002, elle occupe le poste de Superviseure du projet « Stratégies de lutte contre les mariages précoces et forcés » dans cette région. Elle est spécialiste en stratégies de lutte contre les mariages précoces et forcés. Elle est aussi l’auteure de plusieurs outils d’analyse à savoir : « l’arbre d’analyse des stratégies de lutte contre les mariages précoces et forcés » ; du « portrait d’une survivante de mariage précoce et forcé », ainsi que de « la Théorie de changement en matière de Lutte contre les Mariages Précoces et Forcés.
Féministe
Transcription, deuxième partie de notre conversation avec Billé Siké
Billé Siké: Billé Siké de l’Association de Lutte contre les Violences faites aux Femmes (ALVF) au Cameroun. J’ai 63 ans, je suis sociologue de formation. Je vis à Maroua, dans l’extrême nord du Cameroun où sévit en ce moment le terrorisme de Boko Haram. Ma famille est à 1500 kilomètres de Maroua.
Mariam: Nous continuons la conversation qu’on a commencé hier. Mais cette fois-ci, je voudrais parler un peu du coût de l’activisme féministe. Être féministe en Afrique, qu’elle a été votre expérience? Quand je parle de coût, je parle de votre sacrifice en tant que femme et féministe - sur le plan personnelle mais aussi sur le plan professionnel. Quelle opportunité, par exemple, au niveau professionnel, vous a échappé due à votre position politique?
Billé: Les sacrifices, d’abord quand on s’engage pour le changement, le changement doit commencer par l’individu. Et ce changement demande des sacrifices. J’ai 63 ans (en 2016). Quand je partais en France, j’ai pas été boursière. Ce sont mes parents qui m'ont envoyée en France. Et vous savez très bien qu’en Afrique, je sais ne connais pas pour les autres continents, en Afrique, l’enfant est le projet de ses parents et l’enfant est la pension alimentaire, je peux dire ça parce que nous sommes dans les pays qui n’ont aucune politique sociale. Donc, quand tes parents se sacrifient pour tes études, ils pensent que tu vas te marier, un, deux que tu rentres tu vas trouver du travail et trois, que tu vas prendre en charge la famille. Malheureusement ça ne s’est pas passé comme ça pour moi. Dès que j'ai eu conscience que j’étais différente des hommes, j’ai continué à militer. Non seulement j’ai milité auprès des mouvement de libération pour la femme et j’ai aussi milité du côté d’un parti politique dans la clandestinité. J’ai d’abord pris la décision de rentrer parce que je me disais que, il faut que je contribue aux changements de mon pays et pour contribuer au changement de mon pays, il faudrait que je commence d’abord par le changement du statut de la femme Camerounaise. Maintenant je rentre. Je rentre et on venait de créer le Ministère de la Condition de la Féminine. Mes parents me trouvent du travail à la Communauté Urbaine de Douala. J’ai pas voulu y aller, parce que ce n’était pas ça mon choix personnel. Je me suis battue et des relations de mes parents et j’ai été recrutée au Ministère de la Condition Féminine. Et dans ce ministère, quand j’y allais, j’avais un objectif - connaître le milieu des femmes et connaître la politique du Cameroun par rapport aux femmes. Du coup, je me suis retrouvée dans ce ministère et à travers ce ministère j’ai pu connaître le milieu des femmes en profondeur. D'ailleurs, c’est en connaissant ce milieu des femmes en profondeur dans les villages que j’ai eu l’envie, pour la première fois, d’acheter le tissu de 8 mars parce que dans un village, j'ai trouvé une femme qui portait ce tissu et je me suis dit, non, nous avons quelque chose en commun et du coup, j’ai acheté ce tissu pour que vraiment, qu’on se ressemble plus.
En Afrique aussi il y a des choses importantes, par exemple, le style vestimentaire et se retrouver dans de grands milieux. J’ai perdu mon père quand j’étais en France. Mais ma mère, quand je suis rentrée, ma mère rêvait pour moi le style vestimentaire. D’abord, j’étais venue en vacances une fois je suis venue avec deux jeans et ma mère ne comprenait pas pourquoi je venais en vacances avec deux jeans. C’était un problème pour elle. Je rentre, ma mère ne comprenait pas pourquoi j’étais pas en tailleur, en jupe dans un style je n’ose pas dire, bourgeois. Elle ne comprenait pas mais j’ai forcé pour que ma mère m’accepte. Ma mère n’a jamais compris pourquoi je ne voulais pas avoir d’enfants. C’était un choix personnel parce que je me disais que, fonctionner dans la voie de l’établie, je risque de ne pas mener mon combat jusqu’au bout. Donc, J’ai pas fait d’enfants, je me suis pas mariée. Mais, paradoxalement, j’ai voulu que tous les enfants de mes frères et sœurs passent entre mes mains parce que je me disais que j’avais quelque chose à leur donner, à leur monter, et que la vie ne s’arrêtait pas là. Que la vie c’est un combat et dans ce combat on s’impose! On n’accepte pas du n’importe quoi. Le fait de rester 30 ans dehors, peut-être que je ne fuyais pas mes responsabilités mais je fuyais les blocages, ceux qui risqueraient de m'empêcher de continuer ma lutte. Donc du coup, j’ai toujours été seule, et les gens ont pensé que j’étais seule mais je sors d’une famille de 10 enfants. Mes deux sœurs sont des enseignantes, je ne sors pas d’une famille pauvre. Ça, c’est un sacrifice psychologique et matériel. Matériel, travailler dans la fonction publique en Afrique c’est pas facile. En plus, nous avons connu dans les années 90, on a connu deux fois la baisse des salaires et la dévaluation. Du coup, tu te retrouves dans une situation de précarité. Le coup de ton loyer dépassait ton salaire. Alors, imagine, comment dans cette situation, tu dois aller travailler, tu dois manger, tu ne dois pas tomber malade. Et là aussi j’ai fait face. À partir du moment où mon salaire ne pouvait pas payer mon loyer, ça veut dire que je pouvais pas aller au travail! Qu’on ne me demande pas à faire des sacrifices. Du coup, j’allais au travail une fois par semaine, non, une semaine par mois. La première semaine du mois, les autres je pouvais pas! Parce que je n’avais pas l’argent du taxi. Ça, c'est des risques que j'avais pris et je savais que les conséquences seraient lourdes mais je pense que, il faudrait prendre ces responsabilités à un moment donné. C’est à ce moment-là qu'au ministère, le travail devait commencer à 7h30 et on vient contrôler si tout le monde était là et moi, je n’étais pas là! Parce que je ne pouvais pas venir si je n’ai pas de moyens. Le Président a décidé de baisser les salaires et il faut qu’il assume aussi le comportement du personnel. Maintenant, le loyer. Là où je logeais, c’était l’immeuble d’un ministre et la chance que j’ai eu, c’est que ce ministre-là, qui était le propriétaire de mon appartement, est passé à la télé pour nous demander, en plus c’était lui le Secrétaire Général de l’unique parti au pouvoir. Il est passé à la télé et demander aux Cameroun.es d’accepter la crise, d’accepter la baisse de salaires. Et du coup, je lui ai envoyé une lettre qui répétait ses paroles et en lui demandant de baisser mon loyer. Il était obligé de baisser car il était face à une situation. Je n’aime pas la pauvreté et je refuse qu’on m’entraine dans la pauvreté! Et là, c’était pour nous amener dans la pauvreté. Et comme c’est difficile dans nos pays de l’Afrique centrale, de se mobilisé.es, je me suis dite Bilé Siké, bats-toi, seule, parce que c’est toi qui subis et ce n’est pas une autre personne. C’est pour t’expliquer les sacrifices que dans ce combat j’ai fait.
Et de l'autre côté, en 1990, il y avait partout dans tous les pays d’Afrique noire francophones, tout le monde réclamait la conférence nationale. Et dans notre pays, nous de…, je ne peux pas dire de l’opposition puisque ce n’était pas un parti, mais nous, les associations de gauche, on est partie avec les partis politiques pour réclamer la conférence nationale qui n’a pas eu lieu parce que nous étions des hommes qui n’étaient pas des hommes politiques mais qui voulaient seulement prendre le pouvoir, remplacer le président. Et là aussi ça m’a couté parce que tu ne peux pas avoir comme patron, l’Etat et en même temps, tu te mets du côté de l’adversaire. Là aussi j’ai pris des risques. Il y a eu des moments où je ne dormais pas chez moi. C’était la clandestinité. Je dormais chez des ami.es comme je vivais seule. Donc, voilà les risques que je peux appeler, qui m'ont marqués dans ma vie.
De l’autre côté, quand j’ai changé de ministère parce que je voulais qu’au Ministère de la Condition Féminine, je pouvais pas évoluer, puisque mon ministre avait juré que tant qu’elle sera ministre, je ne n’aurais pas de poste de responsabilité.
À Maroua, c’était pareil. J’arrive à Maroua en 1996. Maroua, c’est l’extrême nord du Cameroun où la religion musulmane est dominante puisque, les peuls qui sont partis du Mali. Ce sont ces peuls qui sont partis du Mali qu’on retrouve à l’extrême nord du Cameroun. Quand ils sont arrivés, ils sont venus comme des colons et avec le Coran. Et du coup, tout le monde pratique. C'est-à-dire que ils ont mélangé et le Coran et leur tradition pour dominer les autres si bien que on ne sait pas d’où commence la tradition et d’où commence la religion. Tout est mélangé. C’est une région où il faut être marié.e, marié.e « entre guillemet » parce que c’est toujours des concubinages que nous appelons mariage. Il faut que tu vives avec un homme, que tu ailles des enfants. Et moi j’arrive, j’était célibataire. Pour trouver une maison! Le propriétaire me dit qu’il ne pouvait pas m’accepter comme locataire parce que j’étais célibataire et je vais commettre l’adultère. Et ce sont eux qui porteront mes péchés (rires). Du jamais vu! Je ne sais pas! Moi je commets l’adultère et lui il porte mes péchés. Pour trouver une maison ou un appartement, c'était vraiment difficile. J’étais obligée de mentir, que oui, je suis mariée mais mon mari a une profession libérale, il est avocat et comme j’étais partie avec mon neveu, il parait-il qu’il me rassemblait donc tout le monde pensait que c’était mon enfant. J’étais obligée de mentir.
Surtout dans ce milieu, créer l’antenne de cette association était toute une bagarre. Une bagarre ou même les femmes me demandaient, “Mais, il faut changer le nom de votre association, ça ne passerait pas dans ce milieu. L’Association de Lutte contre les Violences faites aux Femmes, c’est pas le milieu.” Je dis mais, je ne peux pas changer! Et puis des femmes qui ont fait des études… Je ne peux pas changer de nom parce que les femmes ne vivent pas l’à peu près violence, les femmes vivent les violences. Mais par derrière elles venaient me voir, “Madame, je ne sais même pas si vous comprenez le mot violence de votre association-là. Moi, je suis dans un mariage polygame, imaginez si ce n’est pas mon tour ma co-épouse et moi, nous partageons la même maison, sa chambre est à côté de la mienne. Pendant toute la semaine que mon mari est là-bas, je suis obligée de mettre la radio pendant toute la nuit pour ne pas penser parce que il a les mêmes actes et les mêmes comportements. Je refusais d’imaginer, c’est ça la violence. Souvent quand je lis votre plaque. Je me dis, hmm, ces femmes-ci, si elles savaient ce que c’est que la violence.” J’ai pris les risques et c’est à ce moment que j'ai connu Aïssa et j’ai commencé à préparer ma relève.
Mariam: Depuis 1996, comment votre présence, de l’association, comment les choses ont évolué dans la communauté?
Billé: Depuis 1996, nous avons mis en place une stratégie d’éducation de masse. C’est à dire que nous, nous avons évoluées comme les partis politiques surtout les partis politiques de la gauche. Nous avons commencé par la base et écouter les besoins des femmes, ce que les femmes voulaient voir changer. Et ça se passait dans les séances de travail pour préparer le 8 mars. Et c’est en ces moments-là que je pouvais les rencontrer donc j’assistais à toute la semaine du 8 mars avec elles. Et à chaque fois, elles parlaient des mariages précoces et forcés, qu’elles ne veulent plus voir la pratique des mariages précoces et forcés. Après, nous menons une enquête auprès des femmes. C’était toujours ça, elles refusent maintenant la pratique des mariages précoces et forcés mais elles ne pouvaient pas lutter au sein des familles. Du coup, nous avons organisé un atelier de deux jours qui regroupaient tous des intervenants classiques de la société auprès des femmes et filles victimes de violence. Donc Il y avait l’État, les enseignements, les représentants de l'imam, les protestants, tout ça et on a discuté pendant deux jours. Dans ce groupe aussi, le problème crucial c’était les mariages précoces et forcés. Nous avons sorti donc les objectifs, un plan d’action. Et du coup, après ça, nous avons créé un centre-vie-de-femmes. Les résultats du centre-vie-de-femmes ont confirmé la demande des femmes. Les jeunes qui venaient chez nous, c’étaient des jeunes filles qui ont vécu les mariages forcés et précoces. Mais quand elles venaient, c’était pour te dire que “je suis venue vers vous parce que le père de mes enfants est parti et je veux qu’il prenne en charge les enfants ou je veux qu’il s’occupe de ma grossesse.” Quand elles venaient c’était toujours avec leur papa, tu voyais? Tu vois derriere le monsieur, la fille qui porte un enfant, qui est enceinte. C'est-à-dire, des images! Et des petites filles de 16 ans, de 15 ans! Et le papa vient tout fâché pour qu’aille attrapé le monsieur… Quand, vous rentrez en conversation avec lui, en profondeur pour qu’il comprenne conscience que c’est lui en fait, c’est pas le monsieur. C’est lui qui a envoyé sa fille en mariage. Quand vous lui demandez pourquoi, c’est mais, c’est parce que toutes les filles du voisin sont mariées. C’est là où dans cette analyse, tu te dis que la pression sociale joue énormément! Les résultats de notre centre ont confirmé que les filles qui viennent chez nous, ce sont les filles qu’on a envoyées en mariage forcé. C’est comme ça que nous avons commencé a encadré ces filles à organiser des ateliers et en même temps, conscientiser les parents. On organisait des ateliers, on analyse en utilisant les approches genre et ses outils parce que c’est là où je rejoins le genre. Leur outils, vous pouvez les utiliser pour la conscientisation. C’est comme ça avec ces filles, on définit les mariages dans les ateliers, la différence entre le garçon et la fille. Aujourd’hui, elles ont leurs propres associations et sont même financées par International Women’s Health Coalition (IWHC). Nous les avons formées! Parce ce que, je me dis que la militance féministe est là pour changer le statut de la femme ou de la fille. Pas seulement changer les conditions de vie mais ce statut pour que cette femme se lève elle aussi. Tu ne parles pas de féminisme, mais tu as des mots, des paroles. Elles sont devenues des animatrices dans leur quartier pour parler des causes et conséquence des mariages forcés. Chaque fille a un groupe dans son quartier. Nous sommes rentrées dans la communauté. On a fait la même analyse avec la communauté du quartier et elles ont créé des associations légalisées. Nous avons maintenant un collectif au niveau de l’extrême nord du Cameroun et un autre collectif au niveau national. Donc, nous avons commencé par la base et ça nous a pris 20 ans! Et ça nous a pris de l’argent! Tu comprends? Ça nous a pris nos partenaires! Et même au départ, c’était le peu de salaire qu’on avait pour mettre en place l’association.
Mariam: À cause de votre position féministe?
Billé: Oui, à cause de ma position féministe que je voulais pas changé et que les conditions de travail, je les refusais pas. Du coup j’ai changé de ministère pour aller au Ministère de l’Eau, des Mines et de l’Energie. Je suis devenue leur sociologue dans tous les projets d’hydraulique villageois au Cameroun. Je suis allée à Maroua. Voilà des sacrifices. J’ai laissé ma famille et je suis allée à Maroua. Voilà des sacrifices qui m’ont marqué dans ma vie.
Mariam: Et dans les milieux de la société civile, en tant que féministe, on sait que dans les milieux des mouvements des femmes, ce ne sont pas toutes les activiste qui sont les féministes, le milieu est très, très conservateur, quels étaient les enjeux pour vous, avec votre position en tant que activiste féministe?
Billé: En tant qu’activiste féministe nous étions les premières femmes à parler du féministe de notre génération. Les premières femmes à parler, à dénoncer, à parler de la domination, du contrôle de la femme, du contrôle du système patriarcal, des valeurs patriarcales et c’était incompréhensif! Les gens ne comprenaient pas de quoi il s’agissait et du coup c’était devenu, ces femmes qui veulent prendre le pouvoir. Ces femmes qui veulent prendre la place des hommes. Ces femmes qui sont mal baisées, qui ne sont pas mariées, ces femmes, ces femmes, ces femmes, ces femmes. On nous collait des étiquettes. Hors dans notre groupe il y avait des femmes qui avaient fait le choix de leur vie, elles avaient des vies en couple à un moment elles ont fait des enfants! Mais, c’était pas ça. Parce que il y a des normes établies et il fallait y répondre. Même au sein de notre association, parce que au départ c’était le Collectif des Femmes pour le Renouveau. Et c’était un collectif qui se basait plus sur l’idéologie (féministe). Il y a eu une scission parce qu’il fallait faire un choix politique. Tu avais les modérées et tu avais les radicales. Nous, nous étions les radicales. Les modérées qui nous demandaient d’aller avec le parti pouvoir et là dedans, nous allons nous battre. Nous les radicales on disait non, l’opposition parle de changement, allons de ce côté-là où nous avons plus de chance d’intégrer les besoins des femmes. Il y a eu scission et tout d’un coup, nous sommes séparées! Et oui! Elles sont parties d’un côté et nous de l’autre. Pendant qu’on était avec l’opposition, on avait la police qui nous poursuivait. Nous étions convoquées, nous qui avions choisi la coordination, on a été convoquées à la police. À la police judiciaire. Le commissaire nous a appelé et tout. Quand on nous a convoqué, nous étions trois, nous avons refusé d’y aller parce que on estimait que ce commissaire-là, il connait nos maisons, il n’a qu’à venir nous chercher dans nos maisons au lieu de nous convoquer au commissariat parce que on savait qu’on allait nous enfermer. Comme il connaît nos maisons, ils n’ont qu’à venir nous chercher mais ils pouvaient pas parce que il y aurait eu des témoins, un. De deux, tu sais, quand on est militante, on a des comportements et des analyses rapides. On savait qu'on pouvait rien nous faire, puisque nous étions connues dans le milieu de l’opposition. S’ils nous arrêtaient, l’opposition allait faire des déclarations dans les radios. On a refusé d’y aller parce que, celles qui y étaient allées, on leur a demandé de désavouer l’opposition. Nous, nous leur avons dit que l’opposition n'est pas venue nous chercher. Nous sommes allées vers l'opposition de nous-même donc on a pas à désavouer! On a rien à désavouer. Et en même temps, cette première association, l’État Camerounais refusait de légaliser cette association pendant 10 ans. Oui, pendant 10 ans, le Collectif des Femmes pour le Renouveau, le ministère ne voulait pas. Mais 10 ans après, un beau jour, un midi, je me rappelle, je faisais le ménage chez moi un samedi midi, et j’entends à la radio que l’association a été dissoute. Comment vous pouvez dissoudre une association qui n’a pas été légalisée?! On voit de toutes les couleurs chez nous.
De l’autre côté aussi, comme nous étions avec l’opposition, un soir, on était en réunion, on nous avait encerclé.es pendant deux jours avec l’armée. Les gens, avec les armes, là toute la nuit et pendant deux jours! On nous a enfermé pendant qu’on était en réunion. Et j’ai pas eu peur parce que c’est un choix personnel et on ne m’a pas obligée. Et quand on fait un choix personnel et on s’attend à des risques, on s’attend à des conséquences.
De l’autre côté, dans ma famille, j’étais rejetée. En fait, l’Association de Lutte contre les Violences faites aux Femmes (ALVF) a été créée par trois cousines, nous sommes trois cousines. Mais nos prises de consciences sont différentes. Quand nous nous sommes retrouvées, moi j'étais à Paris, les autres étaient à Lyon et Toulouse. Quand on s’est retrouvée à la première manifestation du 8 mars à Paris, c’est là qu’on s’est retrouvée. Et après, on a commencé à tenir des réunions pour nous préparer pour le retour dans notre pays. Et du coup, même au sein de nos familles, nous étions des rejetées! On était rejetée par la famille parce qu’on avait fait un choix d’aller avec l’opposition. Aller avec l’opposition ça veut dire que nous sommes contre le Chef de l’État. Et être contre le Chef de l’État çà personne n’en voulait. Non seulement j’ai fait le choix d’être avec l’opposition mais de l’autre côté, je ne suis pas dans les normes sociales. Ma famille même avait honte de moi! Bizarrement, aujourd’hui, je suis la leader dans ma famille parce que je leur ai leur montré que j’aime ma vie que je dois gérer et je ne veux pas qu’une autre personne la gère. Etant donné que les enfants sont passés entre mes mains, ces enfants ne sont pas devenus délinquants. Ils sont devenus des ingénieurs , des médecins! Je leur ai montré à mes enfants que dans la vie, il ne faut pas accepter du n’importe quoi. Si tu payes un service on te dit que ce bus coûte 3000 francs et dans ce bus tu as ton petit déjeuné, que c’est un bus climatisé, qu’on ne te dise pas qu’il y a pas de climatiseur! S’il y a pas de climatiseur, réclames ton argent! Il faut tout le temps te battre pour avoir ce que tu veux. Aujourd’hui ça a changé hein! Que ce soit au niveau de ma famille, que ce soit dans le milieu associatif, surtout à Maroua.
Mariam: Nous allons allées sur un autre sujet. Nous nous sommes rencontrés au Forum des Féministes Noires, avec tout ce que vous venez de raconter, le travail mais aussi votre parcours personnel, les discussions qui ont eu lieu dans le forum est-ce que ça parlait de votre expérience? Et pour vous, être féministe noire et même cette identité noire, vous étiez dans cette salle, tout le monde parlait, mais est-ce que on parlait de la même chose?
Billé: Je pense que, il fallait ce forum! Il fallait ce Forum de Féministes Noires pour nous montrer la diversité de la race noire, des femmes, et comprendre aussi que nous avons des histoires différentes. Avoir des histoires différentes ça veut dire quoi? Ça veut dire que chaque communauté noire, entre gaillets de femmes, doit se retrouver parce que le travail psychologique est très important. En même temps, nous avons des points communs. A parti du moment nous sommes d’accord que la discrimination est soutenue par les valeurs patriarcales et le système du capitalisme, là c’est prouvé! Donc, on a des points communs et notre lutte se tourne vers ça. Autant les autres se battent contre les multinationales, nous on se bat aussi par rapport, parce que nos pays ont connu le projet d’ajustement structurel! C’est toujours une voie que le capitalisme utilise pour nous atteindre, pour nous dominer, nous enfermer dans les maisons! Parce que ce sont les filles qu’on envoie en mariage et les garçons à l’école parce que les parents n’ont pas de moyens. À ce niveau, on se rencontre. Mais dans l’histoire de race noire, chaque groupe a son histoire. Maintenant les comportements de la lutte sont différents. Autant les autres femmes qui se trouvent aux Etat Unis, qui se trouvent dans les Caraïbes, tu te rends compte qu’elles sont avancées dans la lutte. Elles ont pris des risques. Autant, surtout en Afrique francophone, l’histoire des risques tu ne les as pas! Oui je sais qu’au Burkina il y a eu la révolution mais on ne te dit pas que voici les femmes du Burkina. Par contre au Mali, à un moment on parlait des femmes Maliennes qui ont marché, mais c’est rare. Tu vois cette différence. C’était bien qu’on vienne à cette rencontre.
Mariam: C’est culturel aussi par rapport à l’Afrique. Je ne dis pas positivement, certainement. Amina l’a si bien dit, le premier jour à l’introduction du forum. Qu’en Afrique, quand on présente, on ne parle de ses éloges. On est pas élevée à parler de, à mettre en valeur notre contribution. C’est une autre personne qui parle de notre historique ce qu’on a contribué à la communauté. En tant que femme également, on ne valorise pas ce qu’on a fait. On a tellement intégré que tout ce qu’on fait est acquis, qu’on doit le faire parce que on est femme! En tant que femme on doit prendre soin de la famille et tout et tout. Donc, on ne valorise pas, on a intégré ceci au point qu’on ne valorise pas notre propre contribution! Par rapport aux Américaines, oui, c’est de la visibilité et mais aussi c’est d’occuper l’espace publique de la même façon. Ça aussi, ça fait partie de la lutte. Cette différence culturelle, je ne dirais pas que c’est positif mais ça invisibilise un peu l’apport des femmes africaines.
Billé: Et ça nous ramène dans cette histoire que la femme est la gardienne de la tradition. Quelle gardienne de la tradition?! Et là où il y a un grand homme, c’est qu’il a une grande femme derrière et on restera toujours derrière!!! Non! On ne peut pas m’avancer ce genre d’argument. Moi, quand je me bats, je veux me rendre visible et je veux m’asseoir au tour de la table pour qu’on prenne des décisions ensembles! Si nous prenons des décisions derrière, moi, je suis sortie d’une famille même toute petite, j’ai 63 ans, je connaissais le salaire de mon père. Notre père nous expliquait, que oui, c’est lui qui allait chercher de l’argent et notre maman s’occupait de nous. Il nous disait, “J’ai tel salaire, voila comment je compte l’utiliser.” Peut-être pour que on n’aille pas chercher dehors, mais qu’on sache que c’est ce qu’il a et c’est ce qu’il peut nous donner. Donc, cette histoire des éloges, on n’en veut pas, etc. Moi j’en veux! Je veux des éloges! Pourquoi on rend des éloges au Président de la République même s’il ne le fait pas. Le président a fait ceci, on envoie des motions de soutien. Moi j’en veux!
Mariam: Comment on peut demander et comment on peut exiger ces éloges parce que vous avez fait, vous avez contribué à votre pays.
Billé: Maintenant ça pris du temps, et je pense que je vais demander ces éloges en changeant de stratégie de lutte parce que l’Afrique, on a notre mode de fonctionnement sociologique. Nous fonctionnons par rapport à nos communautés, nous fonctionnons par rapport à nos ethnies et c’est là qu’on te reconnait et qu’on peut te faire des éloges. Maintenant que je viens de passer 40 ans parce que je suis sortie des mains de ma famille en 1976, ça fait 40 ans et j’y vais de temps en temps mais je ne les connais pas. Maintenant je veux ces éloges, mais pour avoir ces éloges, il faut poser des actes. Je vais commencer par nos filles qui sont aujourd’hui de jeunes cadres et je vais commencer à travailler avec elles dans le sens de l’international mais qui a un rapport avec leur vécus de tous les jours. Et je suis sûr. C’est vrai que j’ai commencé à les avoir étant à Maroua, parce que on est en perpétuel réflexion. Étant à Maroua, nous avons élaboré le plan de développement local de notre village. Je suis rentrée en contact avec l’institut des relations internationales. Ils m’ont donné quatre étudiants mais c’est mon village qui a financé pour que ces étudiants préparent leur thèse par rapport à notre village. Ils ont mené des enquêtes, ils ont même fait la cartographie de notre village. Sans toutefois être là, je suis présente! Et dernièrement avant de venir ici, on organisait notre journée d’excellence, le forum d’excellence pour compenser et donner les bourses aux élèves qui ont réussi à l’école et tout. Et j’étais surprise quand ils m’ont appelé pour me donner, ils m’ont respecté parce que il y a un terme pour respecter les sœurs. Ils m’ont appelé pour remettre, j’étais étonnée, donc les éloges commencent et c’est par les actes. Et je suis sûr que quand nous avons organisé notre 8 mars dans mon village qui est quartier de Douala, alors là, je ne serais pas oubliée!
Mariam: Merci.