Au contraire, avec l’âge tu seras plus indignée

Yenoudié Rébéka Roxane Soukaïna Lankoande

30 Août, 2023

Vu le contexte sécuritaire il y a déjà un traumatisme général qui touche tout le monde aussi bien les adultes que les enfants. Mais les enfants sont beaucoup plus fragiles que les autres, c’est encore plus difficiles pour eux. Ils sont obligés d’évoluer dans une société où la mort se banalise de plus en plus, où beaucoup d’ailleurs perdent leurs parents, où ils se retrouvent sans famille sans rien du tout. Les enfants déplacés internes et c’est assez triste à voir, c’est beaucoup de peine on va dire, c’est beaucoup de tristesse, car certains sont carrément ça sans famille, d’autres ne savent même pas si leurs parents vivent ou pas ils n’ont plus de repère, ils n’ont plus de vie c’est assez inquiétant.


Yenoudié Rébéka Roxane Soukaïna Lankoande. Rébéka est une jeune activiste féministe originaire du Burkina Faso. Juriste de formation, elle est également auteure, fondatrice et présidente de l’association Supprimons la Marge, ou SUPLAMAR qui milite pour le bien-être des groupes marginalisés. Entant que militante, Rébéka oeuvre pour une société plus juste et solidaire.

Féministe

Transcription

  • Yenoudié Rébéka Roxane Soukaïna Lankoande : D’accord merci Mariam. Déjà je suis heureuse d’être avec vous ce soir, Rébéka c’est d’abord une juriste de formation et une écrivaine par passion. Donc je suis par ailleurs la fondatrice et la présidente d’une organisation humanitaire dénommée SUPLAMAR ou supprimons la marge, une organisation qui couvre tout le territoire burkinabé et qui existe depuis octobre 2018.

    Mariam Sako: Oui c’est un petit temps alors si tu pouvais nous parler de ton cheminement vers l’activisme en général et en particulier qu’est ce qui t’a amené à fonder SUPLAMAR.


    Rébéka : Alors déjà, commençons par l’activisme. Je me souviens que plus jeune j’avais l’intention d’être architecte, donc je me préparais à être architecte comme je vous l’ai dit, je dessinais déjà, je faisais des croquis, je rêvais déjà ma vie. Mais une fois adolescente, quand j’ai commencé déjà à avoir une certaine conscience du monde extérieur, j’ai réalisé beaucoup de choses. Donc que mon activisme a commencé par des indignations parce que je me suis rendue compte qu’il y avait pas mal d’inégalités déjà entre les femmes et les hommes, il m’arrivait d’être témoin ou d’entendre certaines choses et là la question que je posais immédiatement c’est pourquoi ça? Pourquoi est-ce comme ça? Pourquoi on lui fait ça et très souvent la réponse était non c’est une femme, c’est normal ou on pouvait entendre des choses comme la fille est moins importante que le garçon, des exemples de ce qui foisonnent. Donc il y a eu cette graine de rébellion là en moi je vais dire et j’étais très indignée et sur le coup j’ai eu envie de faire quelque chose et c’était devenu un combat pour moi. Déjà en classe j’avais tendance à prendre la parole quand un truc se passait, imaginer même de me lancer dans les débats avec les professeurs que je jugeais souvent misogynes voilà, et avec mes camarades c’était très fréquent. Puis un jour alors que j’étais en classe de quatrième on était à une fête avec les parents, avec les amis de la famille et tout, il y a eu un débat qui s’est posé entre les enfants donc je faisais partie. Puis ça a pris des proportions et à la fin on s’est rendu compte que les parents nous écoutaient et là il y a un des parents qui a eu à dire ceci, il a dit à mes parents : “votre fille devrait être avocate parce que là c’est chaud, elle a déjà cette capacité, elle est seule contre tout le monde ici, elle a déjà des positions qu’elle tient, qu’elle défend bien et tout.” Je pense que son intervention à lui m’a fait comprendre à partir de cet instant là que je devrais peut-être changer d’ambition et aller vers le droit pour avoir les capacités nécessaires, pour avoir la position qu’il faut, afin de faire bouger les lignes. Donc pour moi déjà aller vers le droit, c’était une armeb. Dans la même lancée j’ai commencé à écrire,(il faut rappeler que l'écriture pour moi a commencé depuis la classe de sixième) . Mais lorsque j’ai opté pour l’activisme, lorsque j’ai choisi mes combats, lorsque je les ai identifiés, ma plume a évolué au même moment. J’ai commencé à écrire pour toucher, pour faire évoluer les mentalités et c’est aussi ce qui m’a emmené à vouloir fonder une organisation plus tard qui pourrait être un plus pour moi afin que je puisse atteindre mes objectifs. Donc en résumer voici comment je suis devenue activiste, voici comment j’ai fondé SUPLAMAR des années après, voici pourquoi j’ai opté pour le droit finalement.


    Mariam: Merci, est-ce que tu as eu à exercer le droit avant de devenir activiste à plein temps?


    Rébéka: Euh non. J’ai été activiste avant, parce que mon activisme il a commencé avant même que je ne sois à l’université. D’ailleurs ce choix-là a été… à la maison je me souviens c’était assez compliqué parce que mon papa il m’avait vu grandir en disant que je voulais faire ceci, il savait que mon rêve d’enfance c’était vraiment l’architecture, il savait que j’étais faite pour ça et tout. Donc il n’a pas voulu, lui il n’a pas compris ce virement, au début il n’a pas voulu m’accompagner on va dire, donc il a fallu un peu de temps pour qu’il me laisse faire mes choix voilà et choisir cette voie-là. SUPLAMAR d’ailleurs je l’ai fondé quand j’étais encore sur les bancs à l’université.


    Mariam: Ah intéressant!


    Rébéka: Donc mon activisme il a commencé bien avant, c’était d’abord à petites échelles, dans de petits groupes de discussions en classe, des interactions avec des ami(es), des camarades. A l’époque déjà alors que je n’avais même pas 15 ans j’ai plusieurs fois entendu les gens me dire: “si tu ne fais pas attention tu vas te faire tuer pour rien”. Des gens me disaient ça alors que je n’étais qu’une enfant.


    Mariam: Waouh!


    Rébéka: Oui on me disait que j’allais me faire tuer à cause de ces combats là parce que j’étais pour la justice, parce que pour moi, je me décris plus pour une humaniste, j’ai d’ailleurs eu à soutenir ce thème-là, les droits des femmes sont des droits des hommes et on a tout un problème parce que les gens ont du mal à le comprendre. Donc qu’on me dise alors que je suis une enfant que je risque de me faire tuer en fait tout simplement parce que je milite pour un monde plus équitable, c’était terrible. Mais déjà à l’époque j’avais beaucoup de repartie et encore aujourd’hui je dirais encore ce que je disais déjà à l’époque si je meurs pour ce combat là je pars heureuse, j’aurai vécu utile voilà, parce que sans ce combat-là, moi actuellement ma vie si on m’enlève ça je n’ai plus rien, j’ai comme l’impression que c’est ma raison d’être, c’est pour ça que je suis là.


    Mariam: Merci, oui en effet, d’un côté aussi ça ne m’étonne pas. Le Burkina est ce qu’il est aussi. Mais en effet c’est trop lourd pour une enfant de 15 ans d’avoir à entendre quelque chose comme ça et d’avoir à garder ceci en soi. Bravo de n’avoir pas baissé les bras, de ne pas t’être résignée, d’avoir eu peur et de repartir sur d’autres voies.


    Rébéka: Je pense qu’à l’époque j’effrayais déjà, j’intimidais déjà et il fallait cet excès de vaines tentatives, je pense que c’était une manière pour les gens de faire en sorte d’étouffer le poussin dans l’œuf on va dire. J’ai une tête dure.


    Mariam : Moi au Burkina on ne m’a pas menacé, quelqu’un ne m’a pas dit oh tu risque de te faire tuer mais on m’a traité de folle surtout quand j’ai commencé avec QAYN et être dans les espaces qui étaient principalement masculin où c’était les hommes qui tenaient la parole, être qui je suis, partir des positions et des combats que je menais, tout de suite on m’a traitée de folle ce qui est classique parce que pour les femmes justement, quand une femme a ses propres opinions, essaies de réfléchir et de questionner certaines choses, il y a toutes sortes de machineries qui est en place par le patriarcat pour réduire la personne au silence. On sait que depuis la nuit des temps les femmes qui dérangent ont toujours été traitées de folles ou alors de sorcières. Dans les deux cas, elles ont pris des grands prix pour ceci comme quoi c’est l’autonomie. On aspire à l’autonomie, on veut parler de l’autonomisation de la femme, il y a un aspect dont on ne parle pas pour moi c’est le cout personnel de cette autonomisation là, parce la société est faite de sorte à ce que la femme reste toujours dépendante mais quand on devient autonome il y a un cout personnel, il y a des sacrifices qu’on fait que ce soit au niveau relationnel, au niveau professionnel et tout ceci il y a des sacrifices. On peut commencer là, pour toi peut-être on peut commencer par parler de tes combats déjà, les combats qui t’ont amené à prendre la plume mais aussi qui t’ont amené à fonder SUPLAMAR.


    Rébéka: D’accord. Donc Mariam comme tu le disais tantôt nous sommes dans une société où lorsqu’une femme ose avoir ses propres opinions surtout quand ces opinions vont souvent à contre sens de ce qui est socialement acceptable, entre griffes en fait ces constructions patriarcales là c’est très difficile et communément ce sont des phrases comme “aucun homme ne va vouloir de toi”, déjà ça c’est extrêmement réducteur. Je n’ai jamais accepté cette phrase-là parce que déjà je suis pas un choix qu’on fait comme ça, j’ai aussi mon mot à dire et je dois aussi choisir mon conjoint. Et d’ailleurs, c’est très réducteur de penser que la vie de la femme doit se résumer à ce volet-là. Malheureusement c’est une phrase qui ressort et qui est très souvent dite aux femmes qui osent penser et penser fort. Donc il y a ça, il y a aussi la folie (rires) tu en as été victime donc tu sais de quoi je parles voilà. On te dira que tu es folle, on te dira, “qu’avec l’âge tu vas te calmer” et après quand tu muris on te dira, “quand tu auras un enfant tu vas voir tu vas te calmer” ainsi de suite parce que malheureusement les gens ont toujours du mal à comprendre que les opinions, les principes et les combats n’ont absolument rien à voir avec la situation matrimoniale d’une personne ou d’une femme. Cela ne change en rien sa manière de penser, ses convictions etc. Je mentirais si je te disais que ça été facile, ça ne l’est pas jusqu’à présent mais ça va. Ça va parce que récemment il y a eu un boom que jusqu’à présent j’applaudis. Il y a quelques années en arrière, déjà peut-être 3 ou 4 ans en arrière, je me sentais extrêmement seule parce que je me trouvais toujours seule, j’étais seule contre tout le monde, j’avais l’impression d’être la seule à avoir les opinions là. Je me souviens être des fois rentré et pleurer à chaudes larmes parce que c’était difficile parce que même ces femmes-là qui sont censées te comprendre ont tellement été formatées qu’elles te combattent, elles ne réalisent pas et ferment les yeux en fait sur ce qu’elles vivent parce qu’elles se résignent à cela, parce qu’on a réussi à inculquer à ces dernières une réalité complètement déformée. Ce n’est pas une position facile mais actuellement je pense avoir atteint un niveau de maturité qui me rend imperméable à tout ça. D’ailleurs récemment quelqu’un m’a dit il y a peut-être trois jours, “vous êtes une très belle femme mais vous avez un caractère de cochon”.


    Mariam: Ah oui?!


    Rébéka: Il a dit ça tout simplement parce que j’ai mes positions qui ne sont pas en accord avec… parce qu’il est toujours dans le système où la femme elle doit cuisiner, elle doit faire ci, elle doit faire ça. Donc du coup quand il me regarde il se dit en fait elle aurait pu être la femme parfaite mais il fallait qu’elle ait ce caractère-là. Donc du coup je suis restée sur le même point que lui, je dis je suis tellement fier d’avoir ce caractère de cochon en plus et voilà on passe, ça ne m’a fait ni chaud ni froid, j’en rigole. Donc voilà un peu la réalité.


    Mariam: En effet, je comprends, je t’entends dire, moi aussi j’ai eu la chance de grandir, d’être une jeune fille au temps de Thomas Sankara. Bien sûr mon féminisme vient de là-bas, de l’antan sans même savoir ce que c’est que le féminisme, des positions qu’il avait en tant que Président par rapport à la condition des femmes et qu’il envisageait pour les femmes et tout, et même après son assassinat. A la maison pareil on me disait, “aucun homme ne voudra de toi” tu sais j’ai grandi en entendant ceci tout le temps. “Toi avec tes histoires que l’homme doit faire la cuisine aussi, il doit prendre soin des enfants” et tout. Bien sûr à mon âge je ne savais pas de quoi il s’agissait mais j’ai été vraiment et profondément interpellé parce que Sankara disait à son temps peut-être aussi parce que je viens d’une famille polygame où le papa avait trois maman et ma mère était la troisième et je voyais aussi dans la cour à la maison ce qui se passait et même entre nous les filles et les garçons comment les choses se passaient, l’injustice qui était là. Parle nous s’il te plaît, toi de tes combats, de ces indignations qui t’ont poussé à devenir activiste en particulier à former SUPLAMAR.


    Rébéka: D’accord. D’abord mes indignations c’étaient surtout ces disparités là qu’il y a entre l’homme et la femme, entre la petite fille et le petit garçon. Par exemple en tant enfant tu comprends que c’est difficile d’entendre les choses et heureusement dans ma famille ça n’arrivait jamais. J’ai eu la chance d’avoir un père qui est extrêmement je dirai qu’il est très en avance sur son temps et j’ai grandi à recevoir une éducation qui n’était pas du tout différente qui était d’ailleurs plus dure que l’éducation qu’on pouvait donner à un garçon. Donc chez moi à la maison la phrase ça toujours été, “fille comme garçon on est pareil”, ce sont les même tâches, ce sont les même corvées, on fait la même chose. Quand il faut creuser on creuse soit une fille ou un garçon. Quand il faut laver une assiette, tout le monde s’y colle voilà. Donc ça fait que, je me souviens que dans ma peau d’enfant j’entendais souvent les visiteurs dire à papa, “mais vous l’éduquez comme un garçon”, souvent on lui faisait cette reproche-là, il rétorquait que pour lui il n’y avait pas de différence entre une fille et un garçon. Tout le monde devait être indépendant, tout le monde devait avoir la capacité de se prendre en charge de toutes les manières possibles. Là je le remercie parce que moi ça fait que j’ai des bases en tout, même en électricité, j’ai eu à faire des installations avec lui alors que ce n’est même pas son domaine mais c’est quelqu’un qui touche aussi à tout. Je sais prendre soin de ma voiture, je change mes roues voilà, alors que mes camarades ne savent pas le faire. Donc c’est le genre d’éducation que j’ai reçu. Donc déjà à la maison on ne m’avait jamais fait comprendre que j’étais différente voire inférieure à un garçon. Mais lorsque je suis devenue adolescente, lorsque je suis sortie un peu de la cellule familiale, lorsque j’étais en interaction avec les camarades, je me suis rendue compte que le monde à l’extérieur était bien différent. Je me rendais compte qu’en fait en dehors des quatre murs de chez moi la femme vaut moins que l’homme, que le petit garçon, quand il me voit il pense être mieux que moi parce qu’il est un garçon. Il pense déjà être voilà. C’est lui le mec voilà entre griffes parce que c’est l’éducation qu’il avait reçue et en fait cette position là pour lui c’était une norme et les autres filles à coté celles qui avaient peut-être mon âge et tout elles sont aussi dans la même logique, c’est normal parce que c’est l’éducation qu’elles ont reçue. Donc déjà là moi j’étais déjà convaincue qu’il y avait un problème parce que je ne me sentais aucunement inférieure à un garçon je trainais d’ailleurs avec eux. D’ailleurs petite anecdote, tu sais plus jeune quand je me battais, je me suis jamais battue avec une fille, je me suis toujours battue avec les garçons je les ai toujours battu. Donc j’étais dans un état d’esprit où pour moi il n’y avait pas de différence entre les garçons qu’il y avait en face de moi et moi. Or on essaie de me faire comprendre le contraire, donc pour moi c’était déjà faire raisonner les gens, leur dire pourquoi il vaudrait mieux que toi je ne comprends pas, parce que c’est un garçon pourquoi? Du coup le message que vous faites passer est que la différence fait de certaines personnes supérieures ou inférieures parce que c’est ça, parce que moi déjà à l’époque j’avais un esprit de discernement qui me faisait avoir certains arguments et pour moi ça revenait à la même chose dire par exemple qu’un garçon est supérieur à une femme pour moi ça revenait à la même chose que dire qu’un blanc est supérieur à un noir. Parce que là aussi cela est basé sur une différence parce qu’il a la peau blanche et l’autre à la peau noire il est supérieur. Pour moi ça revient à la même chose de dire que la femme parce qu’elle a un sexe féminin et que l’homme a un sexe masculin celui-ci est supérieur. Donc j’essaie toujours de faire comprendre aux gens l’absurdité qu’il y avait derrière. Donc il y avait déjà cette capacité de réflexion là que j’essayais d’inculquer aux autres pour qu’ils réalisent qu’il y a un problème voilà et faire comprendre aussi, qu’elle peut faire ci, elle peut jouer au foot, qu’elle peut faire ça parce que moi je suis une fille et je le fais. Donc il y avait ces trucs là et je me souviens avoir aussi entendu une fois, quelqu’un parler du fait que son voisin avait battu sa femme, il l’avait corrigé et tout, c’était normal. Moi j’étais choqué. Je dis mais pourquoi c’était déjà pénible pour moi et en tant qu’enfant comprendre que c’était vraiment difficile parce que je venais d’un milieu où cela n’existait pas où on ne m’a jamais dit que j’étais différente, que j’étais inférieure ou supérieure, on m’a toujours dit que nous étions pareils nous avons les même capacités à développer, mais il fallait faire maintenant avec le monde extérieur voilà. Moi personnellement j’ai toujours dit aux gens que j’ai la capacité de me défendre, j’ai la capacité de me prendre en main, j’ai la capacité de faire en sorte de ne pas être touchée par tout ça. Mais malheureusement à l’extérieur on a ces filles-là qui déjà ne comprennent pas les enjeux, il y a aussi celles-là qui même lorsqu’elles comprennent les enjeux elles ne peuvent pas se défendre. Donc j’essayais déjà d’être la voix des sans voix.


    Mariam: Justement ça c’est une bonne façon de transiter sur SUPLAMAR. Si tu peux nous parler de la mission, nous faire une petite présentation de la structure et des actions que vous menez.


    Rébéka: D’accord. Comme je le disais SUPLAMAR, le nom en entier c’est Supprimons La Marge. Donc marge pour marginalisation.


    Mariam: Ah ok!


    Rébéka: Donc là déjà on parle des personnes marginalisées et dans notre société, on sait que ces personnes-là sont majoritairement les femmes et les enfants. Donc c’est d’abord promouvoir les couches vulnérables de la société et la promotion de ces droits-là passe d’abord par la connaissance des droits d’où l’accent mis par SUPLAMAR sur les questions d’éducation parce que pour nous éduquer un enfant c’est fait en sorte d’avoir un meilleur adulte demain. Donc on n’aime pas avoir une génération future qui pourra fonctionner sur des bases plus équitable où nous n’aurons pas besoin de revenir sur certains bases, où il y aura déjà des acquis parce que tu conviens avec moi que c’est plus facile avec les enfants parce qu’ils sont en construction. Avec les adultes il faut déconstruire et reconstruire et certaines personnes sont fermées. Donc c’est d’abord promouvoir ces droits-là, faire connaitre les droits et qui parle de droits parle aussi de devoirs parce que les deux vont ensemble. Qu’est-ce que je peux faire où s’arrêtent mes limites, où commencent les droits de la personne qui est en face de moi, où s’arrêtent les miens? Etc. Déjà ça cultive la tolérance, ça fait comprendre que peu importe qui nous sommes, ce que nous avons en fait, nous devons respecter le fait d’avoir en face de nous une personne entière qui dispose des même droits que nous et qui est soumise aux même devoirs donc c’est déjà ça la base. Et il y a aussi après cela bien sûr nous apportons une assistance à ceux qui en ont besoin pour certaines situations. Nous recevons souvent des femmes parce que c’est toujours elles qui viennent s’ouvrir à nous, nous parler de certains problèmes parce que ces dames ont seulement besoin des fois d’être écoutées, d’être orientées et lorsque la situation nécessite en fait un certain accompagnement, nous faisons le nécessaire pour pouvoir apporter cet accompagnement-là. SUPLAMAR lutte aussi contre la précarité menstruelle en milieu scolaire et là encore c’est pour permettre aux filles d’être dans les meilleures conditions, dans les conditions plus ou moins équitables pour pouvoir étudier et ne pas rater ces jours de cours-là lorsqu’elles sont scolarisées parce que malheureusement nous constatons que les filles ont tendance à rater une semaine de cours par mois à cause de ces questions-là, soit parce qu’elles n’ont pas le matériel nécessaire pour se protéger et pour calmer les douleurs, soit parce qu’elles ont peur qu’un incident n’arrive parce que quand ça arrive malheureusement il y a des railleries. Moi j’ai vécu cela en classe de cinquième alors que j’avais 11 ans et tout je ne savais pas ce que c’était. Malheureusement je n’avais pas reçu d’éducation dans ce sens-là. On ne m’a pas dit qu’il y a des règles, voilà comment ça se présente et tout. Donc moi j’essaie déjà de palier à cela de sorte que les filles avant même d’avoir leurs règles qu’elles sachent ce que c’est voilà ça évite un traumatisme. Moi personnellement ça m’est arrivée alors que j’étais une enfant extrêmement introvertie, très timide à l’époque. Je ne savais pas ce que c’était, je ressentais juste de la douleur. Je l’ai ressentie pendant on va dire trois jours sans savoir ce que c’était. Pour moi c’était un mal de ventre comme ça. Je me souviens que maman m’avait même donné des comprimés que j’ai pris pour que ça calme la douleur mais rien. Je suis allée à l’école et à un moment donné j’ai senti que ma tenue…j’avais un pantalon j’ai senti que ma tenue était mouillée. J’ai demandé la permission pour sortir aller aux toilettes pour voir ce qui n’allait pas et quand je me suis levée je ne sais pas ce qui s’est passé par la suite, mon voisin de derrière qui à crier, c’est parti dans tous les sens voilà. Donc je sais ce que c’est, ça peut déjà être traumatisant pour un enfant, j’étais extrêmement jeune, j’étais encore même bébé on peut dire. Déjà ne pas savoir ce qui se passe, qu’est-ce que c’est et aussi de devoir faire avec les facteurs extérieurs là mais je pense qu’à l’époque si j’avais été moins introvertie et moins timide, je pense que je n’aurais plus voulu repartir à l’école le lendemain. Mais j’étais déjà dans ce petit cocon là en fait. J’avais mon monde intérieur qui était tellement particulier que je n’ai même pas voulu aborder la question à la maison, donc je n’en ai même pas parlé. Je n’ai pas parlé de ce qui c’était passé. Je me souviens il y avait une camarade plus âgée qui était venue me voir ce jour, qui m’a dit, elle me l’a dit de façon lapidaire au fait, “c’est normal voici ce qui se passe”, elle me dit, “ne dit à personne que tu as vu tes règles” et je me souviens qu’elle m’avait même donné ce jour-là je ne sais pas ce n’était pas quelque chose de très propre. Je pense que c’était un torchon, un truc comme ça que je dois le mettre là. Donc je suis rentrée comme ça, je n’en ai pas parlé à la maison. C’est au bout de quelques jours que maman s’en est rendue compte parce que je tachais tout, que j’avais mes règles et c’est seulement là qu’elle m’en a parlé. Donc concernant la question je sais ce que c’est, je sais ce qu’il y a à faire et ce qu’il faut éviter. C’est vraiment une éducation là encore, éduquer aussi bien les jeunes filles que les jeunes garçons parce que c’est d’ailleurs ces garçons-là qui contribuent à complexer en fait ces filles parce que c’est toujours eux qui font un scandale, il y a ce tapage autour ils ne comprennent pas ce qui se passe donc c’est faire en sorte que la petite fille avant même qu’elle voit ses règles, qu’elle sache ce que c’est, qu’elle comprenne qu’elle ne doit pas en avoir honte, qu’elle ne doit pas voir honte d’en parler, que c’est un processus normal, que c’est même un signe de bonne santé. Faire comprendre la même chose aux garçons, et faire comprendre surtout aux garçons que ce n’est pas sale, que c’est la source de la vie, etc. C’est déjà éduquer dans ce sens-là, faire évoluer les mentalités, faire en sorte qu’une tenue tâchée ne dise plus rien à quelqu’un, que ce ne soit pas tout un problème, qu’il y ait cette tolérance-là, cette compréhension, et aussi faire en sorte de doter certaines filles en situation de précarité en protections hygiéniques modernes et adaptées, raison pour laquelle nous misons sur les culottes menstruelles qui ne sont malheureusement pas données mais qui sont plus adaptées pour les élèves. C’est facile l’utilisation, c’est pratique, c’est confortable.


    Mariam: Merci pour cette introduction, moi ça m’a enchanté de commencer à voir que ce soit au Burkina ou au Togo, des jeunes femmes activistes qui abordent ces questions-là, qui apportent une réponse dans les milieux scolaires. Je me rappelle que je manquais trois jours de classe chaque mois que j’avais mes règles parce que j’avais des règles très douloureuses. Maintenant qu’on a trouvé un nom, je ne sais pas comment en français on dit ça endométriose.


    Rébéka: Endométriose, oui.


    Mariam : J’avais ça. Moi je me rappelle c’était l’enfer pour moi. Je suis vraiment enchantée qu’il y a des jeunes femmes qui sont passées par là et qui veulent éviter à d’autres élèves à l’école d’avoir à être ou se sentir humiliées, se sentir différentes chaque une fois par mois ou une semaine par mois. Parle nous s’il te plait, si c’est possible du début comment est-ce que vous avez réussi à vous introduire dans les milieux scolaires, est-ce que c’était avec l’apport du ministère de l’éducation? Je voudrais bien savoir comment ça a été accueilli par le milieu scolaire.


    Rébéka : D’accord. Déjà il y a une vérité qui n’est peut-être pas intéressante à entendre et tout. Ce milieu-là est assez difficile ici parce que lorsqu’on se lance en tant que jeune organisation malheureusement nous avons des autorités qui ne sont pas toujours aptes à répondre à certaines attentes vis-à-vis d’elles et il y a toujours eu des engagements derrières, il y a eu des manifestations d’intérêt, etc. Je me souviens que les premières années on a dû, c’était assez difficile pour nous, c’était très compliqué. On a fonctionné, on faisait nos activités, on faisait des donations mais sous fond propre. Je tiens là à féliciter les tous premiers membres de SUPLAMAR d’ailleurs qui ont été très généreux dès le début. Quand on réunissait nos fonds qu’on avait en tant qu’individu pour pouvoir mener ces activités-là, prendre en charge la protection de certaines élèves qui étaient dans des situations très compliquées. Donc là on n’a pas tout de suite bénéficié de l’accompagnement de ces ministères donc il est question. Mais nous avons quand même tout de suite, vu que notre première dotation était à Tyou la région du centre-ouest et nous avons été très bien reçu par les autorités administratives sur place, par le proviseur, les élèves, les professeurs c’était bien. On avait réussi à doter 200 élèves en protections hygiéniques. C’était l’une de nos toutes premières activités de ce genre et cette activité-là avait été intitulée d’ailleurs « opération serviettes hygiéniques ». C’est l’année suivante que nous avons pour la deuxième édition que nous avons eu la dénomination, “changeons les règles à l’école” que nous avons gardé. Et l’année qui a suivi je dirais que cette année-là a marqué un énorme tournant chez nous dans nos activités parce qu’il y a eu l’entrée de l’ambassade de France au Burkina Faso qui nous a ouvert les portes. J’ai eu cette rencontre-là avec monsieur Pierre Alain Rubbo, conseiller régional en santé mondial d’ailleurs qui couvre le Niger, le Mali, le Burkina qui a tout de suite été intéressé par nos activités et surtout par ce projet-là qui porte sur la santé et l’hygiène mensuelle, projet qui entre apparemment dans leur politique actuellement. Donc à partir de là nous avons pu mener de plus grandes activités à plus grandes échelles avec l’appui de ce nouveau partenaire-là qui en venant vers nous à amener avec lui certains partenaires, nous a permis tout de suite de bénéficier des contacts qu’ils avaient à leur niveau et on a organisé ce qui était la deuxième édition en réalité de “Changeons les règles à l’école” mais bon deuxième activité quand on tient compte du fait que la première avait été dénommée « opération protection hygiénique » voilà il faut peut-être faire la précision. Donc là nous avons eu notre activité au CENASA où nous avons eu presque tout le monde avec nous. Bien sûr il y avait l’OMS, il y avait l’UNICEF, il y avait presque toutes les organisations, médecins du monde. C’était vraiment à partir de là SUPLAMAR a eu une voix qui portait, une voix qui était tout de suite devenue plus forte et qui portait vraiment loin et nos activités ont pris un tournant et nous n’avons pas cessé de grandir à partir de cet instant-là. D’ailleurs notre partenariat avec le MENA date d’un an, mais je tiens à souligner que quand même ils ont toujours fait l’effort que ce soit le ministère de la santé, que ce soit le ministère de l’éducation ou celui de la promotion du genre, ils ont toujours participé à nos activités mais notre seul partenariat est avec l’un de ces ministères-là, c’est celui le MENA qui est récent. Je sais que j’ai été longue sur la question mais voilà un peu. Si tu as besoin d’éclaircissements, si tu veux revenir sur certains aspects n’hésites pas.


    Mariam : Merci, c‘est une réponse riche. Je voudrais savoir qu’est-ce qui influence les choix des régions d’une part et aussi si vous menez des actions éducatives par rapport à l’éducation sexuelle si cela rentre aussi dans le cadre de votre travail et des interventions dans les écoles. Donc la première question, qu’est- ce qui influence les choix des régions et, si en plus de la précarité mensuelle et si il y a d’autres actions que vous menez.


    Rébéka: D’accord. Comme tu as pu le remarquer nous allons tout le temps vers de nouvelles régions, cela est dû au fait que nous avons une politique qui se veut être impartiale qui met tous les élèves du Burkina Faso sur le même pied d’égalité et qui va du principe que tous les élèves sans exception doivent pouvoir bénéficier de nos activités. Donc notre tout première région, la région du centre-ouest c’était vraiment pour une question de nécessité après nous sommes restées au centre, c’était plus une question stratégique parce que tu sais les grands changements sont impulsés par les grandes villes. Donc il fallait quand même passer par la capitale d’abord avant de continuer notre tournée. Donc ces régions-là sont choisies après étude de pas mal de questions, déjà connaitre le terrain en question où nous organisons les petites sorties avant de choisir sur les régions sélectionnées et prendre connaissances des réalités du terrain et à partir de là choisir selon l’urgence du moment. Donc voilà comment nous faisons le choix des régions.
    Quant aux questions abordées pour les questions de santé sexuelle et reproductive, tu sais quand on parle de menstruations, nous en parlons beaucoup, on parle forcément de santé sexuelle et reproductive. Donc ça va de soi, on en parle beaucoup d’ailleurs on a mis à la disposition des élèves du plateau central récemment des carnets avec tout ce qu’il y avait à savoir à l’intérieur. Nous parlons bien sûr des droits sexuels et reproductifs. Nous montrons aux élèves quelles sont leurs limites encore qu’on parle de droit, à quel moment ça devient un harcèlement. Faire comprendre aux élèves… mais c’est terrible en fait, il faut assister à une de nos séances pour comprendre qu’en réalité les gens ne savent pas ce que c’est qu’un abus sexuel. Ils sont par exemple choqués, il faut voir leur tête quand on leur dit par exemple que quand vous tapotez les fesses de votre camarade là vous l’agressez parce que vous n’avez pas le droit de faire ça. C’est une atteinte. Ils sont choqués, ils commencent déjà à se pointer du doigt. Ah il y a un tel qui aime faire ça, ils rigolent et tout. Donc là il faut leur dire ce que c’est, on leur dit la peine qu’ils encourent en faisant ça. Vous n’avez pas le droit de faire ça que vous soyez une fille ou un garçon et faire comprendre aux élèves que ce soit les filles ou les garçons parce que là encore nous essayons vraiment de ne pas faire de distinction même lorsqu’on sait que les filles sont le plus souvent les plus grandes victimes. Quelles sont leurs limites et quelle attitude adopté et aussi quelles sont les implications d’un rapport sexuel non protégé, qu’est-ce qu’il faut faire, comment faire, comment se protéger, comment protéger les autres, quelles sont les différentes maladies, etc. Donc c’est vraiment éduquer aussi bien sur la question des droits que sur la question de la santé, commencer par exemples avec les mots adaptés, avec les exemples qu’il faut vu qu’il s’agit quand même des personnes jeunes, ne pas hésiter à prendre des exemples, tout de suite lorsqu’on prend l’exemple d’une personne qui écope de tant d’années de prison pour si ou ça, ça devient plus réel. Donc c’est ce que je peux dire pour résumer ce que nous faisons sur les questions de santé sexuelle et reproductive et de droits sexuels reproductifs.


    Mariam: Merci. Est-ce que tu peux nous parler un peu de la réalité des jeunes filles surtout dans les régions un peu éloignées des capitales en termes de leurs besoins lors des périodes par exemple qu’est-ce qui est disponible au niveau de l’école pour les soutenir, quelles sont vraiment leurs réalités une fois que vous êtes arrivées sur le terrain et maintenant qu’est-ce que vous voyez comme évolution?


    Rébéka: Déjà de manière générale je ne parlerai pas des zones reculées. De manière générale même à Ouagadougou ici très peu d’établissement offrent, on ne serait-ce que des calmants pour ce genre de situation. Donc imaginez si à Ouaga nous en sommes là, dans les zones reculées c’est terrible on n’en a jamais entendu parler même. Elles vivent la chose comme ça et traditionnellement quand elles ont des douleurs qu’est-ce qu’on dit, “c’est normal lorsque tu vas accoucher ça va passer”, voilà c’est comme ça que ça se passe. Nous avons eu affaire à, des filles qui n’avaient jamais vu de protection hygiénique de leur vie. Ce qu’elles connaissaient c’était des morceaux de pagne, lorsqu’on fait sorti une serviette jetable elles ne savent pas ce que c’est. Elles sont émerveillées, mais qu’est-ce que c’est, comment ça, s’utilise comme ça, etc. C’est étonnant mais telle est la réalité de ces filles et pas seulement en milieu reculé mais même ici à Ouaga très peu d’établissement, là je réfléchis même pour trouver un établissement mais je ne vois pas. Là non.


    Mariam: Intéressant!


    Rébéka: Ces besoins ne sont pas pris en compte.


    Mariam: Et en termes d’éducation sexuelle? L’éducation sexuelle existe toujours dans les écoles?


    Rébéka: A ma connaissance non.


    Mariam: Ah oui?


    Rébéka: A ma connaissance non, c’est que ce qui est fait sont les droits civiques que nous avons tous fait je pense au primaire c’est ce petit module-là lorsqu’on dit lorsque le drapeau monte il faut s’arrêter, des trucs comme ça, c’est juste ça. A ma connaissance il n’y a pas vraiment de module portant sur les droits sexuels et reproductifs et d’ailleurs ce sont des questions qui sont très sensibles; je pense très peu de personnes veulent aborder ces questions-là. Je pense ou d’une manière hypocrite, on se dit qu’en parler aux enfants ça revient à les pervertir alors que non ce n’est pas parce que vous n’en parlez pas aux enfants qu’ils ne savent pas… et ils sont de plus en plus précoce ne pas avoir de discussion avec les enfants c’est les abandonné à eux même parce que ce qu’on n’apprend pas aux enfants aujourd’hui ils ont internet pour tout voir ils iront aussi en parler à leurs camarades qui ne donneront jamais de bons conseils, donc mieux vaut parler clairement aux enfants avoir cette relation privilégiée là avec eux et pouvoir les orienter afin d’éviter le pire. Donc là encore il faut décoincer les gens mentalement. Voilà si je peux le dire.


    Mariam: Justement je me demandais quelle était la réaction des parents dans les régions où vous travaillez, non seulement par l’accompagnement des produits dont les filles ont besoin mais en particulier de parler de la question du consentement et parler de ce que c’est que le harcèlement sexuel, je me demande si …tu viens de parler du fait qu’on peut être accuser de pervertir les enfants.


    Rébéka : Oui…


    Mariam : Quand on donne le savoir ça c’est son propre pouvoir, je me demande comment les parents ont accueilli vos initiatives et aussi les maitres. On sait aussi que nos écoles sont remplies de prédateurs sexuels, je me demande aussi quelles sont ces réalités-là que vous avez constaté dans les milieux où vous intervenez.


    Rébéka : Je dirais nos interventions ont toujours été très bien reçues parce que ça soulage même très souvent les parents parce qu’ils me disent clairement que ils ont du mal à aborder ces questions avec les enfants donc si il y a des gens qui arrivent à le faire eux ça les soulage aussi. Donc nos missions ont toujours été bien reçues à ce niveau, jusqu’à présent on n’a pas eu des problèmes. Je pense que ce qui pourrait causer problème serait par exemple c’est de partager des préservatifs parce que là tout de suite ils le prennent comme un tort. Là la phrase la plus courante ce sera quoi: “d’accord du coup ils donnent les préservatifs aux enfants c’est une manière de les encourager à les utiliser”. C’est comme ça qu’ils raisonnent. Je me souviens que l’an passé à Bobo Dioulasso à la maison de la culture, il y a eu des partenaires de Mary Stopes International qui sont venus, ils sont arrivés avec des paquets de préservatifs à offrir aux élèves et ça ne pouvait pas passer du coup on a bloqué les cartons à la fin on a reçu les préservatifs comme ça reste une dotation, et puis on a fait des photos et puis après on a trouvé une manière de les mettre à la disposition des jeunes filles qui en ont besoin venaient en prendre à notre niveau. Là par exemple si on se mettait là à distribuer des préservatifs comme ça aux enfants comme on distribue des t-shirts mais c’est terrible je pense qu’on aurait eu pas mal de soucis voilà donc. Telle est la réalité en fait du terrain alors que c’est fait pour protéger les enfants mais les gens le comprennent autrement. S’agissant de la sensibilisation et tout ce qui va avec il n’y a pas de souci. Mais lorsqu’on va sur l’aspect distribuer les préservatifs et tout, tout de suite là les mines se froissent.


    Mariam : C’est intéressant n’est-ce pas, il y a aussi le patriarcat en pleine fonction parce qu’on s’attend à ce que ce soit les filles qui portent le poids de tout ce qu’il y a pour empêcher les grossesses précoces, le poids revient aux filles de se protéger et aussi de protéger les garçons. Vous êtes bien accueillis quand vous avez des réponses aux besoins des filles. Commencer à éduquer les garçons que la sexualité vient aussi avec une responsabilité et inculquer cette responsabilité en eux en leur disant que vous devez aussi vous protéger, vous devez aussi être protégés parce qu’il y a des maladies sexuellement transmissibles et surtout aussi quand on sait qu’on a affaire aux adolescents ou pré adolescents, leurs hormones surtout les garçons ça va dans tous les sens. C’est vraiment intéressant de voir qu’il y a une résistance contre la disponibilité des préservatifs mais vous êtes accueillis quand il s’agit de venir distribuer des serviettes hygiéniques et on voit vraiment comment dès le départ on inculque cette inégalité-là aux enfants.

    Rébéka : C’est malheureux mais c’est vrai.


    Mariam : Merci beaucoup pour cette introduction, je peux rester sur la question, pour moi c’est une question qui me passionne, c’est surtout aussi la question de comment quand on donne les informations par exemple aux filles et on les éduque sur certains aspects de leurs droits mais on sait aussi qu’elles ne prennent pas de décisions, elles sont toujours sous couvert des parents, je me demande si aussi vous avez constaté un peu l’envers de ceci. Comme on dit le mot populaire « empowerment » des filles mais elles restent toujours dans le contexte où elles sont sous la responsabilité des parents mais aussi il y a le poids des cultures qui sont là et je me demande comment est-ce que vous naviguer avec cette réalité-là sachant que les filles ont besoin d’information et aussi elles ne sont pas libres et elles doivent composer comme on le dit au Burkina avec les contextes et puis les milieux dans lesquelles elles vivent.


    Rébéka: La question elle est fondée, en fait il s’agit c’est vrai dans un premier temps d’éduquer les filles, les informer et tout mais il faut aussi impliquer les parents. Raison pour laquelle nous impliquons d’abord les enseignants, ils sont les responsables déjà au niveau des établissements. Nous les impliquons et ils sont aussi formé par la même occasion et nous projetons d’ailleurs organiser le même type de formation mais plutôt au bénéfice des parents d’élèves parce que oui, un enfant comme on le dit reste un enfant. Il a beau savoir, il a beau connaitre ses droits et tout malheureusement nous sommes dans un contexte où il faut que les parents puisse abonder dans le même sens sinon c’est difficile. Donc à coté il faut aussi les informer. Jusque-là nous l’avons fait à petite échelle mais nous prévoyons justement pouvoir organiser des activités qui seront axées vraiment sur les parents pour que tout ceci puisse rester sur la même lancée que les enfants afin d’accompagner ce processus-là et de l’accepter.


    Mariam : Et au niveau de l’éducation, au niveau du consentement je me demande si les élèves vous ont approché par exemple pour partager des informations sensibles par rapport aux professeurs, on sait qu’en ce moment le harcèlement existe et l’abus sexuel existe, la violence sexuelle existe, les pédophiles existent en tant que maitres et enseignants et autres je me demande s’il y a ce volet là si vous prenez en compte ce volet.


    Rébéka : Oui, nous prenons en compte cela mais jusque-là nous n’avons pas vraiment vu de plaintes dans ce sens-là. Il y a quand même une pratique qui est répandue ici j’en parlais la dernière fois par exemple quand un enseignant se marie avec son élève. Je pense que les gens ne réalisent pas, c’est même punissable par la loi et c’est même une circonstance aggravante. Mais c’est un fait qui est répandu. J’en parlais il n’y a même pas un mois, voilà c’est un fait qui est répandu et à un moment donné il faudrait pouvoir… mais j’ai apprécié le fait qu’il y a peut-être quelques temps je sais plus la date il y avait un mot justement qui circulait et justement faisait cas des enseignements qui avaient des relations avec leurs élèves et je pense que ce mot là parlait de plusieurs années de prison etc. Et ça a fait un tollé et là je me suis rendue compte qu’en fait les gens ne réalisaient pas que c’était une violation grave des droits des enfants.


    Mariam : Si je peux me permettre de savoir, ça fait un tollé parce que les gens étaient étonnés parce que.


    Rébéka : Ils étaient déjà surpris de savoir ça parce que pour eux ça n’avait pas de sens comment on peut interdire alors qu’on sait très souvent que les jeunes enseignants épousent leurs élèves et tout. Je dis non déjà c’est problématique parce qu’en tant que professeur j’ai déjà en fait un ascendant sur l’élève, là il n’y a même plus de consentement parce que l’élève se sent pieds et mains liées c’est son enseignant c’est difficile et il peut toujours avoir des conséquences d’ailleurs on sait comment ça se passe, c’est problématique.


    Mariam : Exact. Et aussi le Burkina on a des lois qui articulent ce que c’est que le viol et un adulte qui a des rapports sexuels avec un enfant de seize ans ou quinze ans ce n’est pas du tout une relation. Moi je n’appelle pas ça une relation sexuelle, une relation c’est entre deux adultes consentants. Comme tu viens de le dire ici, un maitre, enseignant commence à coucher avec une élève c’est un viol, et c’est tellement répandu qu’on n’en parle pas.


    Rébéka : Voilà c’est difficile et c’est très récurent surtout dans le milieu universitaire, c’est compliqué.


    Mariam : Tu vois, si c’est dans les milieux universitaires c’est plus récurrent, c’est plus visible parce que les jeunes femmes sont plus âgées et tout mais dans les milieux scolaires c’est encore plus répandu parce que les petites filles, elles ne savent pas de quoi il s’agit, elles ne savent rien et on leur a dit, “tu ne dis rien à qui que ce soit même si tu dis quelque chose on ne va pas te croire”, tu vois. Si on voit qu’au niveau de l’éducation supérieure le harcèlement sexuel, la violence sexuelle est répandue, on ne peut qu’imaginer à quel point le degré du phénomène au niveau du collège ou même de l’école primaire.


    Rébéka: Là c’est plus compliqué pour les données et tout parce que effectivement les élèves, ils sont vraiment tous petits déjà ils ne comprennent même pas ce qui se passe et tout voilà. Donc c’est réel.


    Mariam : Merci beaucoup tout ceci. Peut-être pour transitionner un peu j’aimerais avoir ta lecture de ce qui se passe au Burkina en ce moment en terme de la situation sécuritaire, alimentaire, et écologique et quel est l’impact sur les enfants? Qu’est-ce que vous remarquez, est-ce que aussi vos activités ont dû changer pour répondre à certains besoins qui n’existaient pas il y a quatre ou cinq ans?


    Rébéka : Bon vu le contexte sécuritaire il y a déjà un traumatisme général qui touche tout le monde aussi bien les adultes que les enfants. Mais les enfants sont beaucoup plus fragiles que les autres, c’est encore plus difficiles pour eux. Ils sont obligés d’évoluer dans une société où la mort se banalise de plus en plus, où beaucoup d’ailleurs perdent leurs parents, où ils se retrouvent sans famille sans rien du tout. Dernièrement j’étais sur un terrain d’ailleurs avec les enfants. Les enfants déplacés internes et c’est assez triste à voir, c’est beaucoup de peine on va dire, c’est beaucoup de tristesse, car certains sont carrément ça sans famille, d’autres ne savent même pas si leurs parents vivent ou pas ils n’ont plus de repère, ils n’ont plus de vie c’est assez inquiétant. Donc c’est clair que le contexte impacte énormément les enfants et à notre niveau souvent nous nous retrouvons en fait dans l’obligation de répondre à certains besoins qui ne nous incombent pas. Moi personnellement j’ai eu à payer la scolarité des enfants récemment, et quand je dis-moi je ne parle pas de SUPLAMAR, de ma propre poche parce que quand tu es sur le terrain et qu’un cas t’est exposé ou même qu’un enfant vient te voir parce qu’il va passer le Bac et que sa scolarité n’est même pas payée et on ne parle même pas là de ses frais de dossier pour l’examen et tout. Donc des fois des cas particuliers comme ça qui ne sont pas répertoriés donc ils sont abandonnés à eux-mêmes. Quand tu te retrouves face à un tel cas il n’y a rien de prévu pour eux, à ton niveau, au niveau de l’organisation, vous n’avez pas de volet pour prendre en charge de telles situations mais l’humaine en toi tu te vois dans l’obligation de réagir. Donc oui nous sommes dans un contexte où nous ne pouvons pas toujours rester uniquement sur nos missions, des fois il faut dire que le terrain commande la manœuvre donc c’est assez fréquent. Parlant de nos activités, bon c’est clair que l’insécurité impacte énormément nos activités parce que déjà c’est assez difficile pour les bailleurs parce que justement une organisation comme la nôtre fonctionne essentiellement grâce à certains bailleurs qui accompagnent certains projets. C’est déjà très difficile parce que tout le pays est rouge et aussi nos déplacements peuvent être vraiment limités des fois parce que certaines zones sont inaccessibles et que là même si il y a des personnes qui ont besoin de nous on ne peut pas y aller parce que ce n’est pas accessible. Donc souvent l’envie peut y être, le besoin y est bien sûr mais nous sommes nous-même limités à cause du problème de déplacement.


    Mariam: Je me rappelle que quand on parlait sur whatsapp récemment la question de la santé mentale est ressortie, le fait qu’il y a un traumatisme collectif qui ne dit pas son nom et aussi on banalise la mort et aussi l’existence même, la reconnaissance même du fait que les gens peuvent avoir des détresses mentales mais ça ne fait pas partir de nos cultures, que ce soit la dépression ou l’anxiété, on ne parle pas de ceci et je me demande comment vous voyez ces impacts là sur même la performance des élèves à l’école, est ce que dans les réponses actuelles que ça soit des ONGs ou même du gouvernement en ce qui concerne les déplacé.es internes, en ce qui concerne les élèves, est ce qu’il y a ce volet de la santé mentale, je me demande si les gens adressent même ces questions-là.


    Rébéka: De ce que je sais en principe, je dis bien en principe sur les camps, il y a toujours un psychologue surtout pour les enfants qui est présent pour accompagner les enfants. Je ne sais pas si cela est effectif partout mais cela est prévu. Maintenant pour ce qui est de la santé mentale de manière générale, nous sommes dans un contexte social où parler de santé mentale est déjà compliqué parce que pour les gens, il y a plus urgent. La santé mentale vu que ce n’est pas quelque chose de palpable, c’est quelque chose qui n’est déjà pas accepté par tout le monde on préfère des fois accuser les esprits quand une personne devient déficiente mentalement, lorsqu’elle perd la tête, quand elle prend la rue et tout c’est seulement là qu’on reconnait qu’il y a un problème mental, sinon lorsque qu’une personne est là, elle est habillée, elle est assise, les gens n’auront pas le réflexe de parler de santé mentale et même lorsqu’on en parle, qu’est-ce qu’ils diront, ils diront bof peut-être que cette personne a faim c’est tout. Les gens ont du mal à admettre que la santé mentale soit une réalité et qu’elle puisse toucher n’importe qui. Pour eux c’est un délire, un fantasme de bourgeois ou bourgeoises, ça n’existe pas. Crois-moi lorsqu’on parle de santé mentale ici on te dirait qu’il y a plus urgent. Il faut que les gens mangent, il faut les soigner physiquement, “bon la santé mentale et puis quoi encore”. Donc telle est la réalité alors que c’est un volet extrêmement important. Mais récemment j’ai été vraiment enchantée d’apprendre le lancement quand même d’un projet qui est porté sur cela mais qui est vraiment porté sur les FDS pour qu’ils soient suivi parce que oui pendant toutes ces années imagines-toi qu’après les missions ces personnes rentraient comme ça il n’y avait pas de suivi derrière, après tout ce qu’elles ont vécu, tous les traumatismes et tout, ces personnes rentraient et reprenaient leur vie comme ça. Il y a eu un cas que j’ai moi-même connu parce que la personne concernée était le cousin de mon meilleur ami où ce monsieur-là est allé en mission, il est revenu je pense qu’il a vu tellement de choses, il a vécu tellement de choses qu’il a eu un problème mental et lorsqu’il est rentré on ne sait pas ce qui s’est passé, il a tué sa femme qui était enceinte, il l’a tué comme ça voilà. On a prouvé que cela était dû au traumatisme enduré lorsqu’il était en mission; parce que oui habituellement quand on parle d’une situation de guerre, ce sont des choses qu’on est censé prévoir même sur le terrain il faut quelqu’un pour un accompagnement psychologique, au retour de mission il faut le faire, mais c’est récemment qu’un tel système a été mis en place pour pouvoir avoir un tel suivi. Donc si à ce niveau c’est déjà assez compliqué, je te laisse imaginer le reste. L’accompagnement psychologique ne court pas les rues telle est la réalité.


    Mariam: Je me demande vu la situation actuellement au pays si vous allez légèrement changer vos activités, vos priorités, parce que tu parlais même de la difficulté d’accès à certaines zones à cause de l’insécurité. Je me demande quelles sont vos réflexions au niveau interne en termes même des besoins que vous voyez, que vous n’êtes pas habiletés à y répondre mais aussi en termes des limites sur la mobilité même de vos équipes.


    Rébéka: Déjà pour répondre aux réalités du terrain actuellement nous sommes entrain de mettre en place certains projets, donc nous travaillons sur l’élaboration de certaines activités afin de pouvoir apporter certaines réponses surtout à l’endroit des femmes et enfants déplacé.es. Donc il est clair qu’on doit revoir l’organisation de nos activités pour prendre en compte certaines réalités. S’agissant des zones inaccessible, c’est triste de le dire mais nous sommes dans une position où nous observons comme tout le monde et nous espérons vraiment certains dénouements afin de pouvoir avoir accès à certaines zones. Si demain il est possible pour nous d’aller au sahel pour n’importe quelle activité, nous allons le faire avec cœur joie. Tu comprendrais qu’en tant que leader je ne puisse pas mettre en danger les membres de mon équipe ou quelconque partenaire en conduisant tout ce beau monde-là sur des terrains qui sont officiellement considérés comme des terrains minés et qui sont déconseillés à tous. Donc oui on croise les doigts, on observe, on espère beaucoup et en attendant nous touchons certaines zones dans la mesure du possible.

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