L’INTIME INCONNU

UNE INVITATION, UNE NÉCESSITÉ MÊME DE LA CRÉATIVITÉ

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02.25.23

“Le future pour moi, hmmm. C’est pas simple. Nous sommes dans un present qui de plus en plus restraint nos libertés… A cela s’ajoute la question inévitable de comment nous vivons avec notre environnement. Et entant qu’humain la plus grande guerre qu’on a déclenché est une guerre contre la nature. Et c’est une guerre vraiment fierce. Donc, quand je pense au future, je pense à toutes ces choses-la en même temps. Ma grande question est, est-ce-que nous pouvons apprendre à nos enfants, à nos jeunes soeurs et frères, à freiner un peu - cette course folle et suicidaire? Est-ce-qu’il est possible, dans nos mouvements féministes, d’intégrer la question même de la survie de notre espèce?”

Coumba Touré

Comment s’en sortir? N’est-ce pas la question du siècle? Comment se sortir de cette pandémie, comment “sauver” la planète, comment s’en sortir personnellement, collectivement? Comment se sortir de ces courses effrénées? Comment se sortir d’une “vie pesante”?


Freinage. Ralentissement. Reflections. Une course suicidaire. Introspections. Recul. Retraite. Reconnaître. Honorer ses limites. Ne pas savoir. Le désapprentissage. À quoi pourrait ressembler la lenteur et/ou le freinage en tant que pratique (et non stratégie) dans les mouvements sociaux en temps de crise planétaire? Comment est-ce-que nos notions familières des et nos attachements aux notions de solutions et du succès limitent les potentiels de changement et de transformation? Dit autrement, quelles sont les zones d’ombres de nos notions de changement et de transformation? Sommes-nous en mesure de reconnaître que nos anciens modèles d'activismes ne sont plus si adéquats pour faire face aux innombrables crises de notre temps?

Nous avions tellement joué aux pompier.es face à la déshumanisation (et son compagnon, l’humiliation) – de l’oppression, de l’injustice, de l’errance, de l’éloignement, de la délocalisation, de la survie dans des corps fragmentés – que nous sommes à bout de souffle. Comme notre planète. Qui brûle. Des particules de ses flammes, en forme de virus, nous suffoquent à notre tour. Mais, Achille Mbembe nous rappelle que, “Avant ce virus, l’humanité était d’ores et déjà menacée de suffocation. Si guerre il doit y avoir, ce doit par conséquent être non pas tant contre un virus en particulier que contre tout ce qui condamne la plus grande partie de l’humanité à l’arrêt prématuré de la respiration, tout ce qui s’attaque fondamentalement aux voies respiratoires, tout ce qui sur la longue durée du capitalisme aura confiné des segments entiers de populations et des races entières à une respiration difficile, haletante, à une vie pesante. Mais pour s’en sortir, encore faut-il comprendre la respiration au-delà des aspects purement biologiques, comme cela qui nous est commun et qui, par définition, échappe à tout calcul.”

Comment s’en sortir? N’est-ce pas la question du siècle? Comment se sortir de cette pandémie, comment “sauver” la planète, comment s’en sortir personnellement, collectivement? Comment se sortir de ces courses effrénées? Comment se sortir d’une “vie pesante”? Comment s’en sortir, comment s’en sortir? Et si s’en sortir n’est pas disponible? Et si on ne peut pas s’en sortir, justement? Car si l’on entend par s’en sortir, la survie humaine au dépend de toutes autres vies, s’en sortir intacte, c’est notion justement de s’en sortir qui a créé la situation actuelle dont on veut s’en sortir, peut-être que ne pas s’en sortir a ses possibilities. Comme Achille Mbembe le dit, il nous faut une autre compréhension de ce que c’est que d’être un humain, et dans le contexte Africain, il nous faut réclamer nos compréhensions de l’humain – compréhensions sacrifiées sur l’autel du capitalisme et du développement. Nous reconnecter à “cela qui nous est commun et qui, par définition, échappe à tout calcul.”

Dans cette époque planétaire sans précédent d'accélération du changement/destruction/régénération, où l’habituelle inclination est d’accéléré, s’offre à nous un impératif,ou une invitation peut-être, celle d’envisager de nouvelles pratiques de réflexions, de questionnement, d’enquête, de sorte à toucher l’ampleur de tout ce qui fait de nous qui nous sommes.

D'où le souhait de Coumba Touré, de nous voir freiner, ralentir. Que devons-nous reconnaître et comprendre de nos contextes historiques – ces moments dans lequel nous vivons et mobilisons – de sorte qu'ils nous guident vers d’autres aspects du travail à faire? N’est-il pas temps, comme Coumba semble le dire, de nous re-connecter à la profondeur de notre humanité et à nos liens avec toutes les autres vies et faire de cette connexion une nouvelle source de notre activisme? Dans un monde où vivre est devenu synonyme de transaction et d’extraction, comment redonner souffle de vie à ce commun qui nous lit, mais qui, “par définition, échappe à tout calcul?”

Il semble que cette époque nous invite à nous tourner vers une pause, dans ce monde étourdie par les urgences. Mais vous direz, en plein milieu d’une catastrophe, à quoi bon une pause? Justement, pourquoi pas? Paradoxalement, la pause est un besoin urgent. Comme l'a écrit un guide spirituel, "pour faire bouger le monde, nous devons être capables d'y rester immobiles". Notre course suicidaire vers un bien-être humain (au dépend de toutes autres vies) est à la base du feu qui engouffre la planète. Contrairement à Coumba, “cette course folle et suicidaire” n’est pas que le domain des jeunes, dont les premières references se situent dans les familles. Qu’avons nous d’autres à perdre que de ralentir (possiblement beaucoup à gagner), voir de faire une retraite carrément, afin de percevoir d’autres options qui restent inaccessibles dans “le feu de l’action?” Avoir l’humilité de reconnaître que ces crises actuelles sont incomparables, elles nous laissent de plus en plus “sans solutions”. Donc, à moins que l’on ne contemple réellement l'improbabilité d’un “s’en sortir”, nos actions resteront des actions de pompier.es.

Freinage. Ralentissement. Pause. Réflexions. Introspections. Recul. Retraite. Reconnaître. Honorer ses limites. Ne pas savoir. Le désapprentissage. Une sacrée proposition pour la majorité des activistes pour qui, être activiste c’est, être accros à l’action, être à bout de souffle (un souffle haletant, déclaré et de choix). Pour qui la productivité et l’estime de soi sont synonyme, pour qui l'épuisement est un statut social. Ralentir, ou faire une pause semble être une proposition farfelue. Pourtant, l’air n’est pas à la résilience (cette notion problématique) mais à l'acceptation de notre vulnérabilité en tant qu’une autre forme de vie sur une planète à bout de souffle. Le genre de vulnérabilité qui réveille notre appartenance à ce “cela qui nous est commun et qui, par définition, échappe à tout calcul.” Ce genre de vulnérabilité qui rend possible un lien intime avec notre environnement interconnecté, volatil, incertain, complexe et ambigu.

Peut-être le désapprentissage? Se défaire de certaines habitudes? D’après un exemple du désapprentissage en ligne, “une fois acquis, nous déployons nos savoir-faire sans y penser. Sans recul, les comportements adoptés peuvent progressivement devenir non éthiques. D'où la nécessité du désapprentissage.” Une partie donc du travail de désapprentissage doit consister en quelque sorte à reconnaître que nos modèles actuels d'activismes ne sont pas adéquats pour faire face à la crise de notre temps. Cette reconnaissance, loin de provoquer le désarroi, peut faire place à la forme régénératrice du deuil. Deuil, régénération? De quoi tu parles. Oui, la force régénératrice du deuil. Nous avions développé une compréhension trop limitée du deuil (qui ne fait pas uniquement suite à une mort finale), une expérience humaine que la plupart des gens se dépêchent de s’en débarrasser.

Bien sûr, le confort du familier, face à une pandémie du désarroi, de la désillusion, la peur, la colère, le désenchantement, etc. le confort donc du familier nous fait nous accrocher au familier, même si celui-ci en question est devenu comme un bouleau qui nous traînait vers le fond depuis plusieurs années. Freinage. Ralentissement. Pause. Réflexions. Recul. Honorer ses limites. Ne pas savoir. Le désapprentissage. Une nécessité. La nécessité de prendre grand soin de nos vies, de toutes les vies, de vivre, de panser nos blessures, individuelles et collectives. Ce ralentissement, cette pause, sont nécessaires, car de nouvelles perspectives ne sont possibles qu’avec un recul, donc la distance. Et cette distance nous permet de poser de nouvelles questions, entre autres, il devrait y avoir un autre moyen, mais lequel?

Peut-être le désapprentissage? Se défaire de certaines habitudes? D’après un exemple du désapprentissage en ligne, “une fois acquis, nous déployons nos savoir-faire sans y penser. Sans recul, les comportements adoptés peuvent progressivement devenir non éthiques. D'où la nécessité du désapprentissage.”


Se rendre disponible au deuil,
c’est s’ouvrir au mystère de la vie
ce guide, qui nous amène dans la profondeur de la vie
et éveille notre conscience du processus de la vie
sa sublimité et sa monstruosité, simultanément.

Se rendre disponible au deuil,
se rendre accessible donc à la vie
c’est le refus de l’apathie ambiante
c’est dire oui à la douleur humaine
laisser cette peine du monde se ressentir en nous.

Le deuil nous guide dans le labyrinthe du “s’en sortir”,
c’est la gifle que nous réveil de cette vie-morte
qui nous rend susceptible à une sensibilité autre
à un rapprochement des dimensions au-delà
des limites de celles du corps.   

S’ouvrir au deuil, c’est connaître la compassion,
pour sa vie, celles des autres, du monde
donc, défaire entièrement cette vie-morte,
recoudre notre interconnexion,
et inviter l’abondance dans la guérison.


Une invitation, une nécessité même de la créativité, dans cette vie humaine qui est une chute libre dans l’inconnu. Tout bouge, change et dans ce mouvement, la mort s’y glisse, et quasi rarement avec annonce.

Nous avons besoin de ce oui à la vie, un oui qui nous reconnecte à nos douleurs, individuelles, collectives et planétaire. Ce oui qui dit non à une vie de transaction, d’extraction. Un oui suicidaire en quelque sorte. Un oui qui tue cette vie-morte. Un oui très risqué. Et oui, pour la vie.

Oui, nous avons besoin de ce oui dans notre activisme, dans nos mouvements de guérison et transformation sociale. À quoi peut ressembler ce désapprentissage, ce oui, ce deuil, concrètement? J’imagine certaines personnes se demander. Ce deuil, ce oui, ce désapprentissage est également une invitation à l’introspection, à de nouvelles formes d’enquêtes individuelles et collectives ou la pratique est plus importante que le besoin de réponses, de solutions. L’image qui me vient est celle d’une couturière qui, minutieusement, de manière méditative, découd un vêtement. Ce désapprentissage pour moi est un acte de décousement, un geste très tendre, un geste lent, délibéré. Cette action libère des fils et des morceaux de tissus, et des débris également. Ce décousement donne de nouveaux matériaux, donc une invitation à envisager l’autrement. Un beau geste. Un geste nécessaire.

Ce oui, ce désapprentissage dans l'activisme pour moi, est une invitation à la créativité et à la spiritualité. Dans cet écrit, j’articule la spiritualité comme étant en sorte, ce commun qui nous lie, et “par définition, échappe à tout calcul.” Cette articulation de la spiritualité nourrit notre acceptation, à l’opposé du déni, de l’incertitude, de l’inconnu. Une invitation, une nécessité même de la créativité, dans cette vie humaine qui est une chute libre dans l’inconnu. Tout bouge, change et dans ce mouvement, la mort s’y glisse, et quasi rarement avec annonce. Aujourd’hui, nombre de voix nous appellent à nous enfoncer profondément dans l'intimité de l'inconnu, à développer un sens aigu de l'émerveillement, et ainsi à oser descendre dans les profondeurs de nos dimensions humaines. L’émerveillement nourrit la réceptivité, donc la flexibilité qui nous rend créatives/créatifs. Comment se découdre du besoin de certitude? Cette certitude qui rétrécit nos compréhensions du succès? La créativité signifie rester ouvert.e au changement et risquer l'échec. Ceci n’est pas un abandon, mais un lien souple avec nos objectifs. Ce qui signifie rester réceptive.tif au présent. Cette réceptivité à son tour nous soutient à être plus à l'aise avec l’inconnu et la fluidité, plutôt qu'avec une répétition obsolète, pire, des imitations d'anciennes stratégies.

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Photos et écrit de Mariam Armisen

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